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par LeBeauSon - octobre 2019

 

« Essayez d'imaginer que vous soyez forcé de vaincre la mort instant après instant en produisant un effort constant, en y consacrant une attention qui vous tient en éveil jour et nuit, sans que cet effort se répercute sur votre vie quotidienne, vos sentiments, vos devoirs et vos habitudes de vie en société, sans que rien ne vous trahisse, pas même l'ombre d'un souci.

Vous voilà obligé d'être dégagé, naturel, de cacher votre extrême concentration.

Et maintenant essayez donc de donner à votre conception conventionnelle de la belle musique de la substance, des os, de la chair, du sang et du sperme ; emprisonnez-là dans un corps et dans un cerveau ; imaginez une musique faite homme, contrainte, pour rester en vie, à se concentrer indéfiniment sur le son de son propre violon, le mouvement d'un archet qui rebondit et glisse sur les cordes dont il tire accords, mélodies et rythme. Imaginez que ce soit la seule chance de survie, car, dans le silence, toute vie se dissoudrait. - alors, mieux vaut la mort ! - mais c'est évident : la musique ! Notre tourment serait aussi notre seule raison de vivre ! »

Paolo Maurensig

 

NOS CRITÈRES

Cher ami lecteur de nos « bancs d’essais », vous avez constaté que, afin d’établir un portrait des produits que nous testons, nous avons énuméré une série de critères.

Pour les habitués de la haute-fidélité et des magazines afférents, cela n’a rien de surprenant ni, il faut l’avouer, de bien original. Tout au plus se diront-ils qu’ils n’auraient pas privilégié les mêmes indices.

Pour les profanes, ou pour les habitués curieux ou pas encore blasés, il nous a semblé nécessaire d’expliquer la démarche…

Quelques facteurs définis nous permettent de dessiner un paysage complet de la reproduction musicale. Nous aurions pu sous-diviser plus finement encore mais considérant que sur un appareil de valeur, séparer en critères n’a guère de sens (en réalité les vecteurs sont indissociables, une scène déplorable altère les timbres, une absence de variations dynamiques souples corrompt le swing etc…), nous en avons réduit le nombre, concentrés sur les propriétés nécessaires à l’intégrité musicale.

Ces termes évoquent des paramètres parfaitement objectifs (si si !), d’autres moins, tous liés à une perception essentielle des ressorts indispensables à l’expression impartiale de toutes les musiques.

« Objectifs », j’insiste, car distinguer un appareil qui révèle un fort pouvoir de résolution, du rebond ou pas, des couleurs plus ou moins variées ou accentuées, de la vitalité, affirme un sens de la tonalité ou du swing, égrène des spores de matières nobles, la vocalité organique de l’humain ou non, n’est ni difficile ni arbitraire à condition d’être rigoureux dans le protocole des tests. Et d’aimer la musique. Et les artistes. Et les êtres humains. Ah…

Oui soit, peut-être en demande-t-on un peu trop ?

Qu’importe, le difficile exercice de l’ekphrasis étant semé d’embuches, il paraît utile d’expliquer ce que sous-entendent ces critères.

Vous remarquerez en premier lieu que le vocabulaire employé est souvent celui de la perception visuelle. Et pour cause, au bout du compte, il s’agit bien de paysages sonores…

Une bonne chaîne crée une perception quasi-visuelle : on voit les musiciens, on vit la musique avec eux, chez eux, dans leur monde, voire leur intimité.

                            

Et euh… sans doute aussi parce que le glossaire dédié au seul son est plus limité…

Toutefois, le vocabulaire est aussi tout simplement celui des sens, de la sensualité, de la tangibilité, de l’organique, du plaisir de goûter un petit vin surprenant ou un grand cru, ou caresser l’être qu’on chérit.

Ces critères n’ont pas pour unique but de justifier notre approche : ils peuvent aussi vous servir à vous rendre compte que, parfois par crainte de vous tromper, parfois par paresse, parfois par désabusement face aux mensonges de la hifi (je ne vous donnerai pas tort), vous-même avez tendance à négliger des aspects pourtant fondamentaux de la musique reproduite. Voire de la musique live : il ne faut pas oublier que la musique vivante est souvent victime d’une déformation ; les salles de spectacle sont loin d’être « inertes » et la sonorisation des concerts qui en nécessitent une rarement équilibrée.

 

A ce sujet, on entend si souvent que la musique reproduite n’a pas la même intensité que le concert ! Assurément, l’expérience des concerts est essentielle. Mais cette rengaine est aussi un peu simpliste si on considère que vivre la musique au concert ou au « disque » n’est tout simplement pas la même approche du plaisir ou de l’enrichissement culturel.

Attendre de la haute-fidélité qu’elle reproduise les sensations du concert, en effet c’est souvent vain. Mais comprendre que la musique n’est pas plus « vraie » au concert est au moins aussi important.

Un artiste dans la musique classique ou jazz peut approfondir des aspects de son jeu ou de son art dans l’intimité du micro qu’il n’osera pas forcément au concert et ce pour diverses raisons :

- la concentration n’est pas la même

- il (ou ils) peut reprendre, corriger les passages sur lesquels il hésite ou cherche via plusieurs prises, voire de brèves sessions de mesures montées ensuite. Oui, c’est comme ça que ça se fait le plus souvent.

- au concert, la prise de risque est trop grande, exposant à l’erreur ou simplement au doute

- seul le premier rang pourra entendre des audaces trop subtiles. C’est d’ailleurs le cas sur certains instants quasi-subliminaux d’un violon par exemple où, passés quelques rangs, ce ne sont plus les notes que l’on détecte mais le rapport organique de l’artiste à l’instrument, une vibration imprégnant l’air…

Quant à la musique moderne, Electro, Trip-hop, Indus, Jazz Contemporain, etc… elle procède par accumulations de pistes, effets et sophistications, mixages alambiqués parfois, non reproductibles à l’identique sur scène ou grandement simplifiés si le travail studio a été subtil. Certains artistes font une proposition radicalement différente sur scène. Et pour les meilleurs « producteurs » ou « directeurs artistiques », le travail en studio, la création de nouvelles sources sonores, l’invention d’improbables palettes – j’aurais pu dire planètes -, les juxtapositions mystérieuses ou invasives d’idées venues de quelque horizon que ce soit, ne sont rien moins qu’un solipsisme, une mise en scène unique, une « vérité » alternative, un théâtre où la scénographie est minutieuse, recherchée, raffinée, peu importe que la musique soit bondissante et joyeuse ou sombre ou violente.

Cette réalité parallèle mérite d’être soignée comme la scène d’un auditorium ou d’une salle de spectacle et véhicule une force culturelle au moins aussi fondamentale que le concert, à une seule condition : être respectée.

En outre, ne compter que sur le concert pour découvrir la musique, c’est quand même renoncer à une partie importante du passé, de la richesse des archives.

C’est ce respect viscéral des artistes qui justifie notre démarche, notre engagement. Et par conséquent la définition des critères ci-dessous.

 

Enfin, avant de me lancer dans mes explications, précisons que nous avons aussi décidé, après moult débats internes à la rédaction, d’utiliser une cotation par critère et par gamme. Le signataire de cet article n’était pas trop chaud, mais bon, il y a un chef et ce que le chef veut…

A donc été décidé de créer une évaluation des indicateurs par un certain nombre de diamants, le maximum théorique étant 6, ainsi qu’un code couleur selon la gamme où se situe l’appareil.

Vert pour l'entrée de gamme jusqu'à 1600 €

Bleu gamme intermédiaire entre 1600 et 3200 €

Orange : de 3200 € à 6500 €

Rose : de 6500 € à 12 000 €

Or pour le haut de gamme soit au-dessus de 12 000 €

A la louche.

Ces couleurs sont expliqués en rubrique "Diamonds are forever"

 

On verra à l’usage que l’étagement ne peut pas être aussi rigide.

Je suppose qu’on inventera une couleur pour le hors norme.

Et puis comme il faut bien un trublion, l’un d’entre nous (moi, mais ne le dites pas) a décidé qu’on pouvait croiser les codes.

Après tout, si un appareil bon marché entre dans les codes qualitatifs d’une gamme supérieure, pourquoi ne pas le resituer à sa juste valeur.

Et vice-versa… Si si, je vous assure.

  


RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL

Les timbres sont les « couleurs » des instruments ou des sons ; ce qui différencie, en partie du moins, Frank Sinatra de Dean Martin ; ou encore la voix de La Callas de celle de la regrettée Heather Harper*, pour ne prendre que deux exemples.

Plus difficile, distinguer les timbres des chanteuses de R&B à la chaîne qui polluent les nouveautés sur Qobuz ou Tidal. Mais ça, la meilleure enceinte du monde n’y peut rien.

C’était le « ggrrrr » du jour de Tonton « lebeauson ».

Le timbre est lié aux intensités relatives des harmoniques différentes qui le composent.

Harmoniques ?...

… Ça va ? Tout le monde suit ?

On se rendra compte, en se concentrant sur l’écoute de ces coloris ou carnations, que quantité d’appareils sont plutôt monochromes ; ou en tout cas pas très nuancés : peut-on se contenter du mot « roux » pour occulter des nuances qui vont de « blond vénitien » à « auburn » ?

Non !

 

N’oublions jamais que la différentiation des instruments est avant tout facilitée par notre « culture » qui nous a enseigné à identifier sans l’ombre d’un doute un piano et un violon. Mais qu’en est-il entre un hautbois et une clarinette, une trompette, un bugle ou un trombone reproduits par la mauvaise haute-fidélité ?

Ah… Ecoutez bien… Monochrome, vous comprenez mieux ?

 

Le timbre est-il le seul moyen de reconnaître un instrument ou un son ?

Non, bien sûr, le pincement, la frappe, l’enveloppe, la hauteur tonale, l’air qui circule dans l’instrument via une hanche ou pas, et bien d’autres particularités escortent le timbre pour discerner l’origine du son, faciliter l’identification.

Mieux encore : les compagnons les plus fidèles du timbre sont évidemment le grain et la matière ; pas faciles à trouver en reproduction musicale toutefois. Surtout combinés.

Le grain** des instruments, d’une voix, de l’archet frottant la corde, le grain du bois, de certaines fuzz de guitares, le grain qui accompagne le souffle racleur de quelques saxophonistes où d’autres préfèrent le legato, ou le rubato… Grain au sens de texture donc, mais aussi au sens de Roland Barthes :

« Le « grain », c’est le corps dans la voix qui chante, dans la main qui écrit, dans le membre qui exécute. Si je perçois le « grain » d’une musique et si j’attribue à ce « grain » une valeur théorique (c’est l’assomption du texte dans l’oeuvre), je ne puis que me refaire une nouvelle table d’évaluation, individuelle sans doute, puisque je suis décidé à écouter mon rapport au corps de celui ou de celle qui chante ou qui joue et que ce rapport est érotique, mais nullement « subjective » (ce n’est pas en moi le sujet psychologique qui écoute; la jouissance qu’il espère ne va pas le renforcer - l’exprimer -, mais au contraire le perdre)…»

 

La matière sculptée distinctement entre un saxo, une trompette, un trombone (outre le fait que le saxo est, en dépit du matériau (laiton, cuivre), un instrument de la famille des bois (c’était la leçon inutile de Tonton « lebeauson »)), peut s’entendre nettement sur quelques très beaux systèmes. Elle ne grave pas la même empreinte dans l’espace sonore, compose une morphologie précise autour d’un squelette spécifique.

C’est fou comme j’ai l’impression de ramer après avoir cité Roland Barthes.

                               

On constatera avec surprise ou amusement que quelques appareils définissent mieux l’identité de l’instrument par la sensation de texture ou « ossature » que par la couleur.

Lorsque l’identification passe par les deux, on a affaire à un bel objet de reproduction ; quand vient s’ajouter le grain, alors là, on frôle l’ivresse des altitudes…

La capacité à décrypter les « coloris » (pour revenir au timbre) avec justesse est en lien direct avec la propension à varier les lignes des fronts d’onde corrélée à l’homogénéité de l’enveloppe sonore, c’est-à-dire le maintien énergétique une fois l’attaque passée, la vélocité sans distorsion ou voile, le lien entre les notes, leurs déclinaisons, la résolution et son maintien dynamique, fin ou éclatant…

Pour info, l’enveloppe sonore est parfois décrite comme ADSR pour Attack, Decay, Sustain et Release ou Attaque, Chute, Maintien et Extinction ; même si cette description vient du langage des créateurs des synthétiseurs, elle a le mérite d’être explicite.

Il arrive aussi que la palette chromatique soit bien plus « belle » que nature ; ou plus typée, comme à travers un filtre ou un écran trop saturé. Certains spécialistes expliquent que c’est dû à des harmoniques pairs surévalués. Bon. C’est dit…

Comment ?… On s’en fout ? Oui, c’est vrai.

 

Cette caractéristique de couleurs « plus belles que nature » se détecte sur une bonne majorité d’amplis à tubes par exemple (mais pas seulement) diversement appréciés : une qualité indispensable au plaisir de certains, un défaut rédhibitoire au plaisir des autres.

Déploiement harmonique artificiel, mirifique éventuellement, accompagné généralement d’une petite paresse de réponse, une indolence des envolées qui fait joli et donne un côté huilé à la restitution, soit, mais répétitif aussi.

Idem pour des transducteurs dont la linéarité (perçue) est douteuse… On parle alors de colorations. En oubliant que n’est pas moins « coloré » - au sens de faux - un objet de reproduction qui simplifie les harmoniques ou ne respecte pas l’équilibre tonal…

En effet, comment évoquer les timbres sans se référer aussi :

- à l’équilibre tonal ! (ou encore « image sonore ». Eh oui, dans le dictionnaire académique (humpf…) de pontes de la reproduction sonore, l’image c’est ça. A ne pas confondre donc avec la scène sonore. Donc)

Si l’équilibre tonal n’est pas linéaire mais boursouflé, tronqué, irrégulier ou inconstant selon les phases dynamiques (les écarts de niveaux, les modulations en montagnes russes, les explosions et les murmures subliminaux, ou l’élasticité interne aux inflexions mêmes), les timbres sont inévitablement trahis. Non seulement les timbres, mais indirectement aussi la perception rythmique si le déroulement des évènements en perd sa cohérence.

Souvent la perception de l’équilibre tonal est dénaturée par des effets de masque. Un grave redondant est possiblement dû à un creux dans le médium et ainsi de suite.

L’équilibre tonal mesuré (la réponse en fréquence dans un étau de 3 dB par exemple) ou la réponse transitoire (mesurée) ne signifient pas grand-chose car ils ne reflètent pas le comportement énergique de l’appareil (de l’enceinte en particulier). Or, il n’est pas rare que l’expression dynamique ne soit pas linéaire et par conséquent déstabilise les timbres aléatoirement.

Tout au plus pourra-t-on supposer qu’un appareil non linéaire ou avouant des signaux carrés pas carrés à la mesure ne le sera pas non plus à l’écoute. Mouais…

De même si le dimensionnement des instruments varie selon la hauteur de notes, cas de nombreuses enceintes dont l’aigu (fréquent sur les tweeters à dôme (encore des futurs tutoriels…)) est certes filé ou soyeux mais tout petit, rendant la taille d’un violon soudainement improbable sur ses notes les plus hautes : l’instrument devient exigu, perd son « corps », sa matière. Autre exemple : des cymbales de batterie ridiculement minuscules qui montent en fréquence sans énergie, sans masse… Or une « crash » de 18’’ pèse facilement 1.3 kg !

 

Enfin, toujours à propos de l’équilibre tonal, il ne faut pas confondre « Matière » et « Corps » : des appareils flatteurs dans une certaine zone (on dit médium ou bas-médium dans notre jargon) donnent du corps par excès de chaleur, mais ne cisèlent pas pour autant la matière.

Quand le corps ne devient tout simplement pas de l’épaisseur, voire de l’embonpoint… Pourtant ce corps est aussi indispensable pour retrouver une « masse » et une affirmation physique plausible des instruments. Plausible, pas effectif : j’évoquais le poids d’une cymbale, un Steinway D c’est 500 kgs.

Peu d’appareils savent « timbrer » dans le grave, précisément par manque de constance de célérité (dans un des sens premiers du terme : vitesse de propagation d’un phénomène ondulatoire).

On comprend à la lecture de ce qui précède que la quantité de perturbations qui peuvent nuire au naturel des timbres est incalculable.

Il faut en revanche se méfier de tomber dans l’excès inverse : le timbre « vrai » n’existe pas, ou alors à un instant donné rarement reproductible au naturel. Un même violon joué par divers musiciens ou le même mais à divers moments de la journée ne « sonnera » (quel vilain mot) pas à l’identique.

Les idées préconçues sur les Stradivarius par exemple engendrent de nombreuses méprises à ce sujet. Un Stradivarius ? Lequel, quelle période de l’artiste, conditions d’entretien, de restauration font qu’il y a autant de différences que… euh, ben de Stradivarius, certes avec des points communs.

« J’ai hérité d’un tableau et d’un violon qui se sont révélés être un Rembrandt et un Stradivarius. Malheureusement Rembrandt faisait des violons qui ne valaient rien et Stradivarius était un peintre médiocre. »***

                                                    

Et puis, quel rapport entre le « son » de Michel Portal et celui de Dewey Redman ou de Jan Garbarek ou Emile Parisien ?

Ils jouent « du saxo »

 

Combien de Steinway sont harmonisés à l’identique ? Et quand bien même, aussi bien le jeu que le placement ou la nature des micros peuvent rendre le même instrument méconnaissable…

Toutefois, si une couleur marquée est agaçante, la prétendue neutralité qui ramène tout à une gamme de gris ou de couleurs affadies l’est tout autant. Approcher de la justesse des timbres, c’est limiter les mensonges par excès comme par omission.

Ce que l’on demande à une chaîne n’est pas de contourner ou améliorer une vérité aléatoire, colorier par surcroît de pigments, ni simplifier par manque d’éclat ou un éclairage toujours semblable, mais de suivre les variations incessantes et innombrables du « vrai ».

Ce qui nous différencie, nous êtres humains, est en vérité dans la marge de ce qui nous rassemble. Mais cette marge étroite peut créer des gouffres d’incompréhension.

 


 

SCÈNE SONORE

Le terme est clair : ce critère raconte la capacité d’un appareil à aposter les instruments ou groupes d’instruments ou chanteur(s) ou évènements sonores sur un « plateau » dans ses diverses dimensions, largeur, profondeur, hauteur et même : temps…

Voici pour la théorie. En pratique, l’attente doit être nuancée car dépend de facteurs très nombreux, à commencer par la position des enceintes. On pourrait en parler longuement, mais somme toute les préceptes de la stéréophonie sont assez simples ; or, quasiment personne ne les respecte !!!!

En appliquant certaines règles de base, on se rend vite compte de l’aptitude de certains appareils de reproduction à transposer une dimension vraisemblable des instruments entre eux, établir une stabilité dans l’espace, laisser ressentir l’air autour de chacun des intervenants sans les isoler dans une bulle, procurer un étagement de plans définis en profondeur.

Le rôle d’un système de reproduction musicale (une chaîne hifi pour faire simple, ah là là…) est de combler la zone vide entre vous et vos enceintes. Les meilleurs vont plus loin : ils sculptent l’espace ! Ils bâtissent la pièce ou l’atmosphère de la création originelle dans votre pièce.

Un système qui permet à l’esprit de se balader, par exemple à l’écoute d’une symphonie, à la recherche de quelque pupitre que ce soit, ou instrument dans chaque pupitre, au gré de l’envie est probablement la meilleure démonstration d’une scène sonore harmonieuse, en lien inséparable avec les timbres évidemment… Et si en plus l’esprit se sent intégré dans le lieu de l’évènement, l’équation est parfaitement résolue.

 

De même sur des formations plus petites ou plus électroniques, la perception d’une scénographie stable et précise, où tous les participants jouent ensemble (par opposition à « chacun de leur côté ») est un point déterminant de la scène sonore. On doit percevoir l’emplacement des artistes, leader ou sidemen, ou sources sonores artificielles, au sein d’une performance commune, pas isolément ou dans des dimensions relatives absurdes, sauf volonté ou nécessité créative. Ou incompétence.

Car si, comme c’est souvent le cas dans les prises de son modernes de jazz, la batterie est trop large et la contrebasse éléphantesque, reconstituer malgré tout la cohérence du jeu et la complicité des musiciens dans un redimensionnement vraisemblable est l’apanage des bons appareils ! La batterie fera toujours 3 m de large, mais au sein d’un environnement maîtrisé.

Techniquement, qu’est-ce qui fait que certains appareils ou enceintes sont plus aboutis que d’autres sur ce critère ? Vaste sujet. Mise en phase, cohérence de directivité, rapidité encore, qualité des alimentations, disparition des distorsions les plus perverses, libération d’une énergie vive mais tenue, simplification du parcours du signal sont autant d’ingrédients qui participent à cette conquête de la scène sonore « plausible ».

Mais, si c’était si facile… Je suppose que le dosage est la vraie difficulté ; et trop nombreux sont les concepteurs qui, se comparant au voisin le plus proche en oubliant les fondements, cèdent à la tentation du gros son, ou de la flatterie, ou de la sécurité de ce qui à la longue est devenu le politiquement correct, le non engagement, le refus de l’idéologie. Ce qui en est une autre forme, plus séditieuse au demeurant.

Je perds le fil ? Non, pas du tout.

 

Petite précision au passage : on entend souvent les notions de réalisme et de réalité, de niveau réel… Attention quand même aux miroirs aux alouettes. Combien de pièces pourraient accueillir un piano à queue et le laisser jouer ouvert sur la Sonate en si mineur de Liszt ? Alors le Philharmonique de Berlin !!!! Dimensions, énergie, dynamiques, la meilleure haute-fidélité a pour rôle de transposer et réduire plausiblement les dimensions du «vrai ».

Plausibilité, vraisemblance sont des quêtes moins absurdes que « réalité » qui ne dépasseront pas une flûte et un luth.

Plausibilité ou vraisemblance mèneront alors à la sensation du vrai, du réalisme…

 


 

RÉALISME DES DÉTAILS

Ah…. Les détails.

J’ai entendu un jour quelqu’un expliquer que, à son humble avis, la qualité de la reproduction musicale correspondait à une fenêtre sur la musique. Ajoutant que les meilleurs appareils installaient une fenêtre plus grande.

J’aime l’idée de la fenêtre, mais je la relie à l’image d’une autre connaissance : la propreté de la vitre. Pour lui, la haute-fidélité nous place face à un beau paysage derrière une baie vitrée. Meilleur est le système de reproduction plus la vitre est propre. Oui, c’est une excellente description des critères que nous tentons de détailler ici. J’ajoute moi que, à l’extrême, les meilleurs appareils peuvent même nous permettre d’ouvrir la baie et mettre un pied sur la terrasse, quitte à découvrir, outre la beauté plus pure, que le parfum délicat de la nature est hélas entaché par une bête crevée dans un bosquet.

Je n’y peux rien, j’ai une âme de poète…

 

Le réalisme des détails, plus concrètement ?

J’ai parlé plus haut de résolvance, terme directement issu du vocabulaire de l’image…

Eh bien exactement comme en optique, attention à ne pas se laisser piéger par l’impression de détails qui ne serait que le résultat d’une extraction ou simplification de l’environnement global, un piqué sélectif.

En optique, certains objectifs affichent un excellent pouvoir de résolution au banc de mesure, mais dès qu’on observera l’image attentivement, on constatera que si tout ce qui est en pleine lumière donne la confirmation d’une bonne définition, les ombres sont plombées, les nuances schématisés, là où d’autres optiques de pouvoir séparateur comparable au banc (voire moindre) délinéeront des ombres profondes et modelées, un excellent sens du sfumato, des dégradés de piqué, couleurs et grains selon la profondeur de champ etc…

Ben voilà, c’est la même chose en reproduction musicale.

Bien sûr, on sera d’abord attentif à la précision des attaques. Qui spécifieront le piqué ? En quelque sorte. On constatera alors que bon nombre d’appareils délivrent des fronts de notes arrondies, sorte d'aphérèse qui fait rouler le piano, l’aspect percussif en est gommé, ce dont on ne se rendra pas forcément compte si on se laisse séduire par l’énergie globale, cas fréquent de confusion. De l’énergie oui, mais de l’énergie molle.

Le piano est alors un gros wiano, la trompette une vrompedde etc… Sans parler des miolons.

Mais comme expliqué dans le chapitre « Timbres », on constatera aussi parfois des attaques franches, incisives, non suivies par une tenue et déclinaison homogène de la note. A ne pas confondre avec le manque de lien. Je parle d’une montée nette, suivie d’un maintien (sustain) dont le niveau relatif s’effondre aussitôt, idem pour le release…

Et donc ou obtiendra un tiano presque apocopé, des crompettes, et des sciolons.

Ça vous fait rire ? Pas moi.

 

Un peu de sérieux. Je ne suis pas là pour rigoler, moi, Monsieur. Toute façon, je n’ai pas d’humour. Suis pas assez payé pour ça. Si vous saviez combien ça coûte, un mot… C’est pour ça que j’en emploie beaucoup. ****

Et pour nuancer mes propos aussi, quand même un peu.

On constatera encore, çà et là, une analyse détaillée, certes, mais soit clinique ou monitoring (le détail du fond est remonté au même niveau dynamique ou spatial que l’information principale), soit par simplification ou coups de zoom, ou précisément montée de front d’onde sans suite (oh quel beau hautbois, quelle belle clarinette, isolément), soit abstraite car dénuée de présence physique, de veines palpitantes, de noyau organique au cœur des notes…

Parfois, ce genre de performance est fourbe car on a l’impression de tout entendre, tout discriminer tant la séparation des informations est distincte. Mais où sont le lien fusionnel, la prosodie, la précision phonématique entre tous les ingrédients de la musique ?

Ce « mensonge » par omission se traduit par une absence d’humanité, où le sens du détail néglige la perception de l’ensemble : peut-on comprendre l’architecture d’un édifice en ayant le nez collé sur un joint entre deux briques ?

 

Là se situe la vraie transparence : celle d’une perception globalisante où le plus petit élément détectable ou subliminal participe à la perception du tout.

Fait-il défaut : la vision globale est simplifiée.

Certains ressortent plus que d’autres : soit la perspective est faussée, soit l’architecture est dénaturée.

Dans cette vision « holistique », l’absence de lien est tout aussi pénalisante : la musique convoie un flux continu, pas une succession d’évènements disjoints.

Naturellement, la richesse respectée des « détails » peut s’accompagner de désagréments ; les réverbérations à la prise de son, par exemple, totalement développées, pas gommées par manque d’acuité, peuvent paradoxalement brouiller le message principal. La faute en incombe à la captation, pas au système qui lui rend hommage. Et si ces réverbérations encombrantes sont simplifiées ou agglutinées par l’outil de reproduction musicale, combien de pépites utiles à la profusion expressive le sont en même temps ?

D’autant que, à l’autre extrême, le plus insignifiant, infraliminal détail à sa place dans l’environnement général contribue aussi à faire disparaître des duretés ou des métallisations : qui dit détails justes et à leur place dit aussi un idéal ordonnancement dans le temps et l’espace de la succession des évènements sonores… Et lorsque tout est en ordre et à sa place, on approche du naturel, chers amis. Oui oui.

« la différence entre le mot juste et le mot presque juste est la même qu’entre l’éclair et la luciole »*****…

 

Idem pour la (ou les) dynamique(s) qui doit être libre, ouverte, respirante, sans projection, distorsion, ni déformation (effet de resserrement spectral par exemple) ou effet de paliers (ne souriez pas et écoutez bien vous vous rendrez compte que c’est fréquent ; spectaculaire, mais faux).

La dynamique, qu’elle soit fine (les fluctuations internes des modulations, la ductilité des dandinements sonores), violente, nuancée, subite, doit s’exprimer dans un flux continu, sans contrainte, exagération, simplification de la perspective ou des dimensions relatives. Condition impérative (et exigeante) pour que la lisibilité ne varie pas au gré des phénomènes musicaux.

Le sens du détail, là encore lié à une réelle capacité d’accélération et de tenue, est donc ce qui permettra aussi de suivre des évolutions ou croisements d’intonations complexes, accidentées ou sinueuses, une moisson prolixe dans les corridors enfiévrés de la folie des musiques …

Bref, d’approcher le naturel… Oui, je me répète.

Et c’est pas fini.

 


 

QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE

 

Argh… Grave sujet. Et encore, on ne parle pas du groove.

Le swing, que ce soit clair, ce n’est pas que cet envoutement liée à la rythmique jazz et qui fait claquer les doigts sur l’appui majeur. Ce réflexe-là on peut même l’avoir sur le battement d’un métronome.

Le swing, c’est tout ce qui fourbit l’étourdissement, la vie, la fragilité, la manière d’évoluer autour de la note, les sinuosités de la voix sur des bordures de croches tout en balancement, le glissement langoureux ou vif de tempo d’un batteur, les errements de l’ostinato, que sais-je encore ?… un tropisme de transe ou une montée d’euphorie de l’opiomane…

Souvent, on nous parle « d’émotions ». Le quidam devant son revendeur revendique son exigence pleine de sens et pourtant vide de sens : « Je veux un système qui procure de l’émotion ».

On ne le dira jamais assez : il y a confusion entre expressivité et émotion ; le système n’a pas à vous procurer de l’émotion mais à respecter ce qui, dans le travail des artistes, y contribue. C’est l’expressivité.

L’émotion est un fait de réception. L’expressivité est un fait d’émission.

Cf plus bas : « Expressivité » est un autre critère, ça tombe bien, non ?

En ce qui nous concerne, à la rédaction de « lebeauson », c’est simple : pas de swing, pas d’émotion possible.

Donc, un gros déficit de potentialités dans la pléthore de propositions hifi.

Car pas de swing - le vrai, celui qui palpite sous la peau, agite les viscères, chatouille les orteils, s’insinue dans la vibration de la moindre parcelle de son intimité, file les poils (je l’ai entendue, celle-là !) -, pas de vie, pas d’humanité, pas de cœur balançant, pas de déhanchement sensuel, pas d’ondoiements gracieux de l’air, pas de courbes voluptueuses des rythmes et mélodies…

Un rendu possiblement beau, élégant, raffiné mais… besogneux, prosaïque. Là encore, écoutez bien…

Moins impliquant, sauf cérébralement.

Le swing naturel est partout. Presque. Je veux dire par là qu’il n’est pas réservé à un genre musical en particulier.

L’orchestre classique peut avoir (ou pas, ce n’est pas naturel dans la culture de la musique classique) du swing, même le très débattu Karajan dans sa meilleure période dirigeait en swinguant (ses Beethoven de 63, sa 5ème de Prokofiev, son Sacre du Printemps de 77 (pas la version « salon de thé » de 64 démolie par Stravinsky…))

                               

Pourtant, ce critère est un grand oublié, pour ne pas dire un grand sacrifié de la haute-fidélité majoritaire ; et, chose curieuse, on s’aperçoit en fréquentant de nombreux audiophiles, que c’est un aspect dont le manque ne semble pas choquer.

Nous si : pas de swing ou alors une approche mécanique de la rythmique, c’est l’ennui garanti !

Pourquoi tant d’habitués de la hifi ne remarquent pas le manque ? Ben c’est simple, on l’a dit ci-dessus : ils ont pris l’habitude de s’en passer par la force de la vérité statistique de la hifi majoritaire… Décorrélation totale entre la ferveur mélomane et l’écoute de la hifi.

Et puis il faut l’avouer : certains audiophiles écoutent des musiques où le swing est totalement absent. D’ailleurs qui dit jazz ne dit pas forcément swing non plus. Zappa disait : « le jazz n’est pas mort, c’est juste qu’il a une drôle d’odeur »

                  

On remarquera au passage que la plupart des disques favoris des purs audiophiles en sont totalement dépourvus. Allez, d’accord, sauf We Get Request… Et… bon d’accord, quelques-uns. Mais Kari Bremnes ou Hadouk Trio ? 0 swing…

Ce genre de piques ne sert à rien mais ça fait du bien.

 

 


 

EXPRESSIVITÉ

Le mieux est sans doute d’essayer la métaphore qui m’est venue hier lors d’un dîner où j’ai dégusté un Risotto d’anthologie qui sur la carte est annoncé « Risotto façon Sushi ». Une variante entre tradition et invention donc.

En savourant ce plat, c’est bien simple, j’ai versé une larme d’émotion (des larmes ?), tant c’était exceptionnel ! Bien sûr, un sourire de Carla face à moi aurait suffi à me bouleverser, mais non, c’était un instant de pur saisissement culinaire.

Or, on parle de riz et de poisson cru ! Rien de plus banal en apparence. Des Risottos nous en avons tous goûtés et ça se ballade entre quelconque et excellent. Ce soir, Al Pont de Ferr (Milan), c’était de l’art.

Soyons plus précis :

L’invention et la recette, c’est l’art supérieur du chef. La qualité de la préparation, c’est l’expression. Ma perception, c’est l’émotion.

Que restera-t-il de la même recette préparée moyennement ? Moins d’expressivité. Et, en ce qui me concerne une émotion moindre. Eventuellement entretenue par un souvenir de l’original. Ou au contraire très décontenancée.

Que restera-t-il si je demande au chef de me préparer le plat, me le congeler et que je le réchauffe aux micro-ondes ?

Je l’aurai grandement banalisé. Pas forcément totalement dénaturé (quoi que) mais j’aurai affadi sa splendeur expressive. La recette est la même, l’expressivité est trahie, l’émotion amoindrie.

Que me reste-t-il à faire ? Trouver le chef ou le temps qui saura reproduire à l’identique ce grand moment, ou inviter le créateur chez moi en lui fournissant le plus précisément possible les ingrédients ou instruments dont il a besoin.

Pas de subjectivité là-dedans.

Voilà. Ce que nous essayons de transmettre dans cette rubrique « expressivité », c’est ça : veiller que les appareils que nous testons ne soient pas que des fours à micro-ondes de base. Pour éventuellement nous autoriser à retourner au lieu originel de l’émotion.

Et croyez-moi : la recherche de l’expressivité en haute-fidélité, ça limite beaucoup le choix.

Le critère le plus difficile probablement et pourtant essentiel et même indispensable du point de vue de vos serviteurs. Pourtant si chichement représenté par la « Grande-hifi internationale », pour reprendre la dénomination d’un collègue.

Or, c’est bien simple : l’absence d’expressivité, c’est le mysticisme dépourvu de la moindre révélation.

 


Ça ne vous aide pas beaucoup, hein ?

Mouais… Je suis d’accord.

L’expressivité si on devait la définir… Comment dire…

Imaginons un même texte, euh, par exemple « Pierre et le Loup », raconté par deux personnes différentes. Mettons, un italien et un anglais. Avec tous les clichés subséquents.

Nous français par exemple, c’est la baguette et le béret, voyez le genre…

Un italien, c’est expressif, n’est-ce pas ? Volubile, ça cause vite et fort, souvent avec les mains, et l’éloquence est vertigineuse… Je vous en parle d’autant plus volontiers qu’au moment où j’écris ces mots, je suis à Milan, bien occupé à éviter de me laisser emporter par une autre exubérance : la grâce en mouvement des avenantes milanaises. Heureusement, Carla veille.

Un anglais c’est pince sans-rire, n’est-ce pas. Un anglais, c’est consti… réservé. La diplomatie conduit à parler de distinction. Ça n’empêche pas l’expressivité, simplement elle est plus… gourmée ?

Avouez que : « MAMMA MMiiiia !!!!! », c’est quand même plus gourmand que « GOUdlaurd…. »

Donc le même texte joué par Marcello Mastroianni d’un côté, incarnant les nombreux personnages, exploitant la vaste palette de mimiques dont il est intensément capable, James Mason de l’autre, jouant sur des intonations subtiles et guindées, crânes mais pudiques, jetant un regard voilé de romantisme sur le loup attrapé par la queue et emmené au zoo (ce ne serait pas une forme de colonialisme, ça, par hasard ?)…

Sans aucune volonté de caricaturer, vous l’aurez remarqué. Si j’avais choisi David Bowie, la démonstration aurait été moins pertinente.

Mastroianni (Marceeelllo), Mason (James), on imagine quand même que l’histoire n’aura pas le même piquant, le même relief.

Théoriquement elle a le même sens. Mais est-ce si sûr ?

Pas aussi simplement que ça, car elle ne vous parlera pas de la même façon, vous ne la ressentirez pas, ne le vivrez pas de la même manière, avec la même intensité, la même sérénité peut-être, le même plaisir en tout cas et par conséquent, vous en recevrez une leçon, une compréhension différente, non ?

Etes-vous le même homme en slip de bain sur la plage et en costume trois pièces sur mesure Zegna lors d’un conseil d’administration ?

Un autre exemple ? Ecoutons « Ne me quitte pas…» dans la version un peu surestimée de Nina Simone, toutefois bien émouvante ; artiste incontestablement expressive, Nina Simone est dans la veine « inspirée », concentrée et extériorisant l’intérieur en frissons scénarisés. « Ne me quitte pas… » est une supplique accablée, proche de la désespérance. (Brel revendiquait une différence forte entre désespoir et désespérance)

Maintenant, essayons d’imaginer la même chanson qui serait interprétée par… Rammstein, tiens…

NE ME QUITTE PAS !!!!!!

La supplique devient injonction.

 

Oui, là ce n’est plus de l’expressivité, c’est de l’expressionnisme, d’accord.

Non, je ne vais pas vous faire le coup de prétendre qu’un mauvais appareil va transformer Mastroianni en Mason (James) ou Nina Simone en Rammstein (amusant) ni même le contraire (encore plus amusant).

Bien sûr vous identifierez toujours l’artiste, même sur un poste de radio (une image qui a la vie dure). Mais…

… Mais pourtant… écoutez bien : des appareils qui ramènent l’exubérance de Mastroianni au mieux de sa forme à la patate chaude dans la bouche de James Mason, ça existe ! Et je n’exagère pas du tout !

Sans aller jusqu’à telle parodie de contresens pittoresque ou de totale absence d’icelle, un appareil expressif vous fera ressentir, « voir », les pantomimes du grand Marcello, l’exubérance de ses yeux, la malice des lèvres, le nez animé, la bouche en cœur qui pourraient aussi bien vous escroquer, les prunelles souriant ou pleurnichant qui vous déclarent en permanence « aime-moi, tu n’y échapperas pas… ».

Un appareil expressif figurera le sourire pincé de James Mason, un soupçon d’arrogance parfois, une hauteur d’aristocrate, le digne frémissement dissimulant une douleur intérieure, un doute profond derrière l’affectation.

A contrario, si même Nina Simone déclame sans âme, sans le poids sur les épaules d’une tragique ségrégation toujours active, ou Rammstein hurle dans le vide, sans les crocs, le grasseyement, les contorsions caricaturales, les masques éclatants de la tradition d’un Brecht ou Weil, votre système n’a pas un embryon d’expressivité.

Ecoutez bien, ne vous laissez pas emporter par ce que vous croyez connaître de la musique et jugez ensuite.

Votre système swingue peut-être, il est peut-être pétulant (j’en doute fort), mais expressif ? Non !

Enfin si, peut-être, et dans ce cas on vous félicite ! Vous avez évité les nombreux écueils des pièges médiatiques.

Le rôle d’un BON système de reproduction n’est pas de « procurer » de l’émotion, celle-ci vous appartient et une affreuse déformation pourrait vous convenir, mais bel et bien de transmettre l’histoire racontée par le ou les musiciens ; sans simplifier, enjoliver, appauvrir ; sans déguiser comme une reproduction picturale ajouterait une moustache à la Joconde ou donnerait l’impression que Mona Lisa rentre de quinze jours frénétiques au Club Med …

L’expressivité : ne pas trahir l’expression. Couleurs, modulations plus ou moins complexes, combinées, sous-jacentes ou épanouies, rythmiques croisées, grain, matière, respirations, hésitations, mousse de fluctuations…

Présence physique, vitalité, réalité organique, incarnation…

Vive la diversité d’expressions !

La plasticité d’une voix face à  la ductilité d’une autre, ou les deux qualités dans une même voix.

L’humanité ! La chair et le sang, la lymphe et l’aura…

Tout ce qui distingue une approche artistique d’une autre, qui donne « un » sens au texte, qui traverse l’artifice pour toucher au cœur, qui frissonne sous la peau, circule dans les veines, coule en perles d’intensité sur le front concentré, inquiet, joyeux, exultant… La vie, la différence, l’intensité ou parfois son contraire sans filtre, livrés tels quels, à cru !

On a évoqué dans les rubriques précédentes ce qui est essentiel à la perception de vie, le swing, la présence, le grain la matière.

Formidable.

 

Mais ce n’est pas encore l’expressivité. L’expressivité c’est un cran au-dessus.

On peut en effet réunir ces différentes vertus sans vraiment obtenir l’expressivité. Notez que dans ce cas-là on a quand même déjà un bien beau système avec lequel on pourra vivre longtemps, sens majeur de la « haute-fidélité », n’est-ce pas ? La fidélité, c’est quand même un engagement sur la durée !

Et par ailleurs on pourra parfois rencontrer une fulgurante expressivité, réellement saisissante, sur des systèmes par ailleurs totalement à côté de la justesse, de l’équilibre ou de la palette harmonique.

Je pense notamment à des combinaisons autour de bons amplificateurs de type mono-triode (300B ou autres) sur un haut-parleur large-bande plus ou moins bien exploité : les timbres sont caricaturaux, l’équilibre tonal aléatoire, mais bon sang, ça parle directement au cœur, la musique est injectée dans les veines comme par intraveineuse…

A la manière de Nina Simone.

Bon, certes jusqu’à ce qu’on se lasse de couleurs répétitives, de manies déséquilibrantes, d’accents outrés.

Cependant quand on a goûté à tels délices, grains, sensualité, démangeaisons bienveillantes, il est difficile de revenir en arrière pour replonger dans les mornes eaux huileuses de la haute-fidélité d’étagère. Car aller de l’avant suppose d’en virer les deux-tiers, au bas mot…

Sans sombrer non plus dans la tentation de l’expressionnisme à la Rammstein (sauf pour écouter du Rammstein !) que bastonnent divers systèmes (souvent encombrants) à pavillons avant par exemple : traits grossis, attaques monumentales mais sustain et release mal suivis, gigantisme du violon (dans Rammstein ? Mais non, enfin…) tout en grain et matière mais pas en délinéation… Pourtant, là aussi, il se passe des choses rares, des frissons irremplaçables. Et parfois aussi, ces systèmes sont vraiment réussis. Ô Joie !

L’expressivité ? Un extrait du « livre de la Jungle » (Kipling) vous aidera à comprendre l’indéfinissable :

« le tigre n’a pas d’odeur, le tigre ne fait pas de bruit, mais on sait que le tigre est là. Quelque chose s’installe dans l’ombre, et c’est le tigre qui vous attend »

C’est ce mystère, ce danger, cette présence absente que délivrera un appareil expressif.

Or que ce soit clair : de même que le fait que nous passons la plus grande partie de notre vie mentale dans des châteaux de l’esprit construits avec des mots signifie que nous manquons de l’objectivité nécessaire pour nous apercevoir de ces terribles distorsions de la réalité que nous apporte le langage, l’absence d’expressivité en reproduction musicale est une trahison de l’artiste et peut conduire à ne rien comprendre de son art ou passer à côté en l’effleurant à peine.
Oui, bon…

                 

Une photo d’une statue de Rodin donne une idée de son art, pas le choc qu’elle représente. Idem pour les Demoiselles d’Avignon de Picasso : allez la voir, si vous en avez la possibilité, au MoMA, vous comprendrez.

A nous de vous indiquer les appareils qui suivent le « nord magnétique »****** et évaluer les contreparties éventuelles d’un sens de l’achèvement indispensable, les placements des curseurs de compromis sur la voie royale : le naturel…

Comme disait un vieil ami : « contempler la vérité est autre chose que la connaître par ouï-dire »*******

J’ai été un peu long sur le chapitre, mais croyez-moi l’envie de vous protéger des sirènes****** de la hifi n’est pas facile…

Ceci dit, j’aurais pu reprendre l’exemple de Frank Sinatra et Dean Martin, une fois la question du timbre mise de côté. J’aurais pu…

J’ai été un peu long, non ?

 


PLAISIR SUBJECTIF

Tiens donc…
Subjectif…
Un mot que nous n’aimons pas beaucoup, contrairement à la manie de la profession de se réfugier sous la subjectivité pour justifier le grand n’importe quoi de la reproduction plus sonore que musicale. C’est une question de goût, entend-on trop souvent…

La façon dont vous percevez et aimez la musique, oui, incontestablement, ça vous appartient, c’est votre goût. La façon dont vous choisirez les appareils qui vont constituer votre chaîne, oui incontestablement…

« je ne suis certain de rien d’autre que du caractère sacré de l’affection du Cœur et de la vérité de l’Imagination – ce que l’imagination capture en tant que Beauté ne peut-être que vérité -, qu’elle ait existé au préalable ou non.» ********

Mais : la façon dont la chaîne est supposée propager la véracité artistique des musiciens, non absolument pas. La chaîne ne doit rien faire de plus ou de moins que de vous permettre de revivre en boucle ce pourquoi vous aimez tel ou tel musicien, et pas tout transformer autour d’une certaine justification de tel goût s’opposant à tel autre. Le dogme de « c’est une question de goût » est totalement crétin !

J’ai cité la Joconde précédemment : sous prétexte que vous préférez les blondes, messieurs, on devrait la teindre ?

Suis bien embêté pour trouver un exemple pour vous, Mesdames, mais point besoin : pour vous avoir souvent fréquentées dans les auditoriums, j’ai constaté que vous ne vous méprenez pas sur l’objectivité de l’émission et la subjectivité de la réception. (Et puis oser vous parler de système de reproduction, c’est limite mauvais goût, non ?*********)

D’ailleurs, combien de fois entend-on aussi la revendication d’un appareil « neutre » ? Sous-entendu qu’il n’intervient pas dans la couleur, le rythme etc…

Or si ce terme est pour le moins prostitué - on constate qu’est souvent considérée comme neutre une restitution où il ne se passe rien : neutre par retranchement politiquement correct, pas de vague, pas de prise de risque, pas de vie -, il a quand même du sens pour qualifier l’espoir du consommateur…

Tous les critères précédents visent à définir, pour les appareils qui réunissent les compliments la tête haute, des qualités objectives de reproduction musicale, par la précision, l’aptitude à livrer des couleurs justes, chanter, danser, bondir, vivre encore une fois.

 

Mais on comprend parfaitement que certains d’entre vous, moins mélomanes, ou moins soucieux de justesse, aient envie d’une autre approche de la reproduction sonore, adret ou ubac ou mieux : opposer le chemin touristique au versant d’escalade.

Par exemple : une reproduction musicale plus spectaculaire, plus grande que nature, plus belle que nature, ne serait-ce que parce que vous écouterez peu…

Ou encore la recherche d’un maximum d’analyse austère par souci de déchiffrer la partition, sans accorder la moindre importance à l’interprétation ou en tout cas à sa valeur d’humanité. Pourquoi pas ?

Ou encore un confort qui rajoute une ampleur artificielle, pas forcément désagréable sur de la musique de variété compressée. Ou qui en fasse beaucoup trop dans « les basses » façon boîte de nuit…

Nous respectons évidemment ces choix affirmés. Du moment qu’ils sont conscients. Si la vérité des sensations physiques et émotionnelles de la musique est plus du côté du karting, d’une Caterham ou d’une Alpine que d’une Bentley, on peut comprendre sans problème le choix de cette dernière.

Nous nous efforcerons par conséquent de raconter ce qui, à notre sens, pourrait plaire dans un appareil que nous n’aurons pas formellement adoré par ailleurs, mais dont nous comprenons la vocation, le choix qui a présidé à sa création, son réglage, son approche.

Et puis surtout, nous sommes conscients qu’un appareil parfait n’existe pas. Heureusement en un sens. Autrement dit, le choix porte sur soit sur des compromis, soit sur ce que l’on est prêt à sacrifier dans son rapport à la musique. Un positionnement de curseurs en quelque sorte. C’est là que la subjectivité entre en jeu pour nous tous.

« La lucidité est la blessure la plus proche du soleil » ********** et ***********

 


PERCEPTION D’ENSEMBLE

Bon ben, pas bien difficile : une sorte de résumé de l’ensemble des critères ci-dessus ajouté à des côtés plus techniques ou esthétiques, présentation, facilité d’emploi, aspects pratiques, qualité de la finition etc….

Et donc une synthèse d’écoute car il ne faut pas se tromper de cibles :

Nombreux sont les appareils qui, à défaut d’atteindre les sommets dans chaque case, peuvent séduire un public large, puisque là aussi, bien sûr, chacun a ses critères, ses petites manies ou préférences, ses habitudes, ses attentes, ses étapes de progression.

Pour autant, afin de vous éviter de vous tromper dans vos choix, notre devoir est d’évoquer autant les manques que les qualités des beaux joujoux qui nous passent entre les oreilles.

Et si vous n’êtes pas d’accord avec notre évaluation, parlons-en…

 

 


 

* regrettée parce qu’elle est décédée peu de temps avant que je ne commence à rédiger ce texte dans l’indifférence générale. Oui, j’écris ce texte dans l’indifférence générale.

** à ne pas confondre avec le grain des instruments à vent (diamètre de l’étranglement de l’embouchure)

*** Tommy Cooper

**** c’est une blague.

***** Mark Twain ; ça fonctionne mieux en anglais (lightning bug et lightning)

****** l’image est du patron. Dieu. Sotto Mayor.

******* Sana’i (XIème siècle, un vieil ami donc) (de son vrai nom : Hakim Abul-Majd Majdūd ibn Ādam Sanā'ī Ghaznavi. Ou plus précisément : حکیم ابوالمجد مجدود ‌بن آدم سنایی غزنوی) (le dernier symbole est la parenthèse de fermeture)

******** John Keats

 

********* et l’affreux olibrius l’écrit quand même !

********** René Char

*********** vous ne trouvez pas ça un peu lassant, vous, cette succession d’astérisques ? Moi si

 

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