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par LeBeauSon - Août 2020


Alors, c’était mieux avant ?

Non plus. Aussi est-il temps d’entamer un petit tour d’horizon des vraies et fausses valeurs.

Et selon la logique oblique qui me caractérise, je vais commencer à rebours :

Chapitre 1 (oui, X pages d’intro !) : LES ENCEINTES ACOUSTIQUES

Pourquoi donc débuter par ce qui pourrait sembler la fin ?

Probablement parce que c’est la partie du thème général sur laquelle il est le plus difficile de prendre position.

Mais puisque je suis obligé de traiter en grandes lignes, j’oserai affirmer que, dans les familles d’enceintes acoustiques qui ont correspondu à une « longue » ère de pionniers, les différences d’approche étaient quasi-culturelles, sans me réfugier uniquement derrière l’idée un type de musique par pays ou grande région comme on a trop tendance à l’affirmer parfois.

Oui l’équilibre tonal de certaines enceintes allemandes d’un temps (c’est d’ailleurs encore souvent le cas aujourd’hui) semble pencher du côté de l’« Oktoberfest» en Bavière, mais Allemagne et Autriche sont aussi les nations de Bach, Mozart, Beethoven, Schoenberg et tant d’autres. Dont Rammstein.

La musique de Byrd ou Purcell explique mal le grave mou et endormi d’une grande majorité des enceintes anglaises conçues par des créateurs de mythes de la fifi. Celle des Beatles pas davantage. Et puis quel rapport dans l’approche chantante (et technique) des Tannoy Westminster Royal et des Spendor BC1 ? Ou, de nos jours, entre B&W, KEF et Living Voice.

Alors oui, à la rigueur on peut associer la proposition un peu connotée des JBL des années folles au rock FM ou à la country, ou un pan du jazz, allez, d’accord…

Et les premières créations japonaises ? Au Gagaku ? Ou au manque d’imagination des chiffres dans un laboratoire ? Dont quelques Lux Corporation, Air Tight et consort ont du mal à s’extraire…

Soyons humbles et clairs : écouter un quatuor à cordes sur une KEF R105, une JBL Lancer ou 4312, une Yamaha NS1000, une Cabasse Galion 3, une Magnat Mig Ribbon ou les premières Dynaudio (j’ai essayé de ne pas faire de jaloux) ou des Bang & Olufsen de toute génération confine au burlesque côté éloquence gouleyante. Moins sur une vieille enceinte suisse Ensemble PA-1, équipée de haut-parleurs Görlich-Podszus qui sont aussi les transducteurs des actuelles Zellaton dont les prix font frémir ; et l’écoute ? Sourire ? Allez, chers amis teutons, envoyez-nous une paire d’enceintes pour corriger nos impressions tirées de vos présentations sur le salon de Munich. J’ai une telle affection pour des essais personnels sur des HP Podszus remontant à quelques décennies que j’ai du mal à imaginer que vos enceintes soient un tel échec qui ne trouve grâce que face à la moyenne de l’ultra haut-de-gamme standard où soudain, en effet, les ambitieuses Zellaton ont un peu plus à dire…

Voyez comme il est difficile de s’y retrouver…

Tout ce que j’énumère dans le constat très relatif de l’implication artistique de la hifi séculaire n’a guère changé aujourd’hui ?

Pas faux…

Au détail près que les balafres sur la figure des musiciens sont moins marquées : il y a désormais un tant soit peu plus de précision dans le signal, d’ampleur, de coordination dynamique et harmonique au fur et à mesure des évolutions.

Plus de musique ?

Ah : voilà ! La grande question.

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Tous ceux qui étaient partis de traviole au départ ont-ils redressé la barre avec le temps ? Pas sûr.

Comparaisons d’autant plus ardues que, de certaines marques, ne reste plus que le nom après le rachat d’une coquille vide par des groupes sans âme.

Je comprends qu’on se pâme devant une paire de Celestion Ditton 66, de panneaux Quad ESL 57 ou 63, Wilson Audio Watt/Puppy ou des Soundlabs A1 (j’en ai réécoutés récemment, remis à neuf, j’ai failli m’étouffer de rire) mais à la seule condition d’assumer un choix totalement à côté de la moindre sensibilité organique, de la moindre justesse humaine et j’arrête là le massacre.

Toutefois, je respecte l’attachement de quelques-uns de nos lecteurs à des valeurs qui leur correspondent et je le comprends bien mieux que de vouloir retrouver ces déformations culturelles dans des productions récentes, dont la plupart n’ont pas grand-chose à offrir de plus côté engagement expressif.

Mais, parallèlement, combien de nouveaux créateurs en remplacement essayent des solutions nouvelles et parfois intéressantes, n’est-ce pas ? Prenez le modèle T&T Nel Ultime (ni des copains, ni vraiment ma tasse de thé), histoire de sortir des sentiers battus : il développe des qualités objectives qui n’étaient pas concevables il y peut-être même une décennie ; ou alors dans quel volume et à quel prix ?

Alors, en cherchant un peu, vous vous rendrez compte que dans la production moderne existe un bon nombre de perles qui, même dans la déformation statistique, offrent plus de justesse relative (approximative ?) que les ancêtres adorées.

Pas forcément beaucoup plus de musique là encore, mais une moyenne globale plus homogène et quand même quelques formidables réussites.

Ne me faites pas dire ce que je n’ai pas envie de dire : je regrette clairement que la haute-fidélité ait majoritairement choisi - et depuis longtemps - de suivre la voix d’un moyennage joli se référant à quasiment toutes les enceintes primitives que j’ai citées plutôt qu’à celle des objets qui avaient creusé le sillon d’un respect de l’humain dans la musique.

Pourquoi ?

Parce que la médiocrité est plus facile à produire ? Ben tiens.

Je suppose que l’analyse tient à l’histoire et aux modèles économiques de la haute-fidélité. Comme d’hab…

L'origine de la haute-fidélité moderne correspond probablement à l'invention du cinéma parlant ; la notion du haut rendement ne se posait pas alors : on ne disposait pas de moyens techniques permettant de concevoir des amplificateurs de fortes puissances. Par conséquent, les pionniers ont tout simplement été contraints de développer des solutions qui compensaient par la pression acoustique des haut-parleurs le déficit en watts des appareils en amont.

La solution était connue : adapter les pavillons acoustiques que l’on utilisait sur les gramophones aux  haut-parleurs nouvellement inventés.

Ce n'était pas un problème de dessiner des enceintes ou des pavillons très encombrants, on ne manquait pas de place derrière les écrans…

Petite anecdote à ce propos : grâce à l’ami « littéraire », nous avions pu nous faire inviter à une visite de l’installation du Kinopanorama qui intégrait le plus grand écran de Paris (240 m², légèrement courbe) et une installation sonore mélangeant les origines « russes » de la salle et le renouvellement partiel par des appareils américains. Nous avions aussi obtenu le privilège de nous installer seuls dans la salle qui jaugeait 600 places si ma mémoire est bonne pour écouter quelques disques… Pffiou.

Nous avions renouvelé l’expérience dans une salle beaucoup plus récente équipée en beaux McIntosh aux yeux bleus et gros moniteurs JBL : le Broadway, dans le 16ème. C’était beau, mais… Pas pareil…

Le perfectionnement de la reproduction sonore des salles de cinéma a évidemment engendré l'envie de partager, d'offrir à tous la beauté sonore et fait surchauffer les méninges. Louable intention indéniablement.

La naissance du transistor ouvre l’horizon de puissances disponibles élevées. En 1956, les physiciens américains Walter Brattain, John Bardeen et William Shockley sont récompensés par le prix Nobel de physique pour cette invention dans les laboratoires Bell (USA). Quatre années plus tard, l'idée de regrouper une vingtaine de transistors sur une seule puce de silicium donne naissance au circuit intégré. 

Parallèlement l'invention de l'enceinte close délivrant un pseudo grave séduisant - obtenu par une masse importante d’équipages mobiles capables de forts débattements grâce à l’invention de la suspension acoustique, montés dans des petits volumes de charge – rend le rêve possible. Nous sommes toujours en 1956.

Le rendement très bas découlant du principe de charge est compensé par une puissance de moins en moins coûteuse.

L’industrie de l’enceinte acoustique prend alors le pli de la miniaturisation, grâce à ces petits haut-parleurs à résonance basse et à des équipages mobiles à fortes excursions, le tout noyé à l’arrière dans une abondante quantité de laine de verre, autant de frein à l’enthousiasme rythmique…

Mais ces équipages mobiles de haut-parleurs, inévitablement lents et peu linéaires, qui délivrent un artéfact de grave, respectent-ils les timbres dans le bas ? Pas sûr… Honorent-ils le pouls créatif ? Evidemment non… Célèbrent-ils le chant des artistes ? Pas sûr… En fait : non !

Et cette puissance disponible à meilleur marché est-elle qualitativement à la hauteur ? Pas sûr… Seule la foi en un progrès conquérant s'acharne à négliger les constats subjectifs moins heureux… N’oublions pas qu’on peut aussi progresser en pire.

A la longue, une fois l’émerveillement des premiers instants passé, on se dit que, petit c'est bien, mais pourquoi ne pas moduler les dimensions en fonction des possibilités domestiques de chacun.

Ainsi, la petite enceinte commence à grossir. A prendre du volume. A utiliser de plus gros haut-parleurs dans des coffrets grimpant de poignées de centilitres en poignées de centilitres. Et si le grave fait encore défaut, on ajoute un haut-parleur, ou deux, ou trois. Ou d’un plus grand diamètre, mais toujours doté d’un équipage mobile lourd du fait des principes de charge utilisés. Conjointement, les schémas de filtres s’obscurcissent inexorablement pour ajuster les comportements très divergents de haut-parleurs de technologies variables, aux facteurs d'accélération mal accordés, aux directivités contradictoires, aux rendements disparates, aux impédances triturées… Alchimie validée par des certitudes de laboratoires, des fausses vérités objectives, des procédures techniques s’entêtant à confier la révélation du vrai aux approximations confortables du chiffre mesuré, de la physique ordinaire portée au rang de réalité objective, hélas encagée dans des modalités impuissantes face à la complexité du signal musical, face à l’inouïe capacité de l’oreille – ce pauvre organe si discriminant - à distinguer des nuances infinitésimales…

Bref, les grosses enceintes ne sont désormais le plus souvent que l’héritage de petites enceintes qui ont enflé ! Ou de petites enceintes empilées dans un même coffret pansu, c'est selon…

Fort heureusement, quelques fabricants dans le monde ont le bon réflexe de penser à revenir aux bases, aux fondamentaux et à se dire que peut-être l’idée de réduire le « gros » est sans doute techniquement plus exigeante que faire grossir le petit, mais tellement plus satisfaisante en authenticités sensorielles.

Ainsi, tous les ans au High-End de Munich, des coréens cinglés s’évertuent à apporter des systèmes historiques, - souvent des adaptations de base Western Electric - remontant parfois aux années 20 pour aller jusqu’aux années 60 -, quitte à devoir faire démonter un pan de mur de l’architecture du MOC pour faire entrer les systèmes issus de la sonorisation des salles de cinéma gigantesques aux Etats-Unis. Et c’est une leçon ! Voire une humiliation pour 90% des stands qui occupent les 72 000 m² du salon !

Oh, c’est loin d’être parfait, la scène est éventuellement gigantesque (mais proportionnée !), parfois bizarrement timbrée. Mais la vie, la présence, le serment humain derrière les instruments, le frisson garanti, que ce soit en écoutant La Callas ou Leonid Cogan, Julian Cannonball Adderley ou Led Zeppelin sont – quasiment ? - sans équivalent. Retenir ses larmes lors d’une telle expérience, c’est nier le pouvoir de la musique ou avoir vendu son âme au diable du néant.

Quelle conclusion tirer de tout cela ?

Aucune généralité possible. Votre émotion vous appartient et je ne vois pas de quel droit j’oserais évaluer à votre place le dosage nécessaire entre nostalgie, lien au cœur et l’âme des artistes, immersion dans une bulle de sensations fortes, ou dérive de la dimension émotionnelle.

J’ai rencontré récemment un homme qui, depuis plus de vingt ans, n’écoute QUE Frank Zappa ! Il a des vieilles JBL remises à flot par un (vrai) spécialiste et a acheté un Accuphase au goût du jour pour remplacer son vieil Harman Kardon, acceptant qu’il y a des fluctuations de qualité entre des vraies valeurs et des valeurs éculées.

Il m’a raconté qu’il existe une radio américaine qui n’émet qu’un jour par semaine et depuis 20 ans (pardonnez-moi l’approximation) trouve le moyen de nourrir les fans de l’immense Zappa de concerts oubliés, de bandes pirates dépoussiérées etc… Si ce n’est pas de la pure passion ! Alors le convaincre qu’on peut faire mieux que ses JBL ? Ben non, évidemment pas, il faudrait être obtus !

Mais avouez que cet homme est un phénomène.

Qui plus est, il écoute Zappa à sa manière : il a arrêté le temps. Je considère que si j’en sais bien moins que lui sur la vie de Zappa, n’ai-je pas mieux compris certaines foucades musicales du maître parce que je suis sorti de la nostalgie pour intégrer Frank (le musicien (je ne parle pas de classique) que j’ai le plus vu sur scène (avec Prince)) dans le pétillant musée de la pure musique, à côté de Mozart ou Stravinsky, Hendrix ou Björk. Oui, et quelques autres, dans le jazz. Je cite des exemples, foutez-moi la paix, mon musée est aussi vaste que le Государственный Эрмитаж, Gossoudarstvenny Ermitaj de St Petersburg (oui je suis snob, tout le monde le sait (enfin, tout le monde…)), mais dans le mien les artistes sont éternellement vivants et vibrants, blindés d’énergie. Dans ma conception de la haute-fidélité, Zappa n’est pas un portrait dans un cadre, mais un copain frappé d’éternité qui pouffera lors de ma mise en bière.

Et dans cette philosophie, Vintage ou Moderne, les manants de la haute-fidélité ne devraient jamais oublier de mettre un genou à terre en espérant être adoubés.

Or dans sa prétention d’exister en elle-même, la haute-fidélité ne le sera jamais.

Les précurseurs avaient l’excuse de chercher La Voie, fertiliser La Terre. Les modernes n’ont plus d’excuses.

Les meilleurs sont ceux qui ont le mieux intégré les leçons des anciens. Les autres copient. Et les pires, la majorité, copient les photocopies.

Re-flûte, je dévoile le fond de ma pensée : oui, je déteste la haute-fidélité autocentrée. C’est un outil, pas un en soi. Jamais !

Acheter des enceintes du passé, c’est choisir de s’arrêter à un moment de vie. Pourquoi pas, en effet. Combien de personnes vivent dans du mobilier Louis-Philippe et ne s’en portent pas plus mal.

C’est un rapport à la musique un peu figé à mon avis, mais ce sera mon seul commentaire.

Méfiez-vous en contrepartie des immenses déceptions qui vous attendent si vous décidez d’acquérir certaines références du passé ne correspondant à rien pour vous ou qu’à un vague souvenir, parce que la vérité risque d’être cruelle. Et l’argument du prix ne suffit pas.

Les vrais impérissables sont rares et même ceux-là sont sujets à caution.

A chacun de choisir ce qu’il considère comme tel, pour les uns les Klipshorn premières générations, les JBL Hartsfield, des Beveridge ou Acoustat, des Quad, des Vitavox, des boules Elipson ou des Leedh, des Harbeth, que sais-je encore ?

Mais si le principe consiste simplement à s’entêter à penser que c’était mieux avant, là, vous vous gourez non pas complètement, mais statistiquement, et les rares produits survivants qui peuvent prétendre au Titre, marinent dans l’ordre du deuxième chiffre derrière la virgule.

Si on considère les enceintes de dimensions domestiques, l’industrie dispose de moyens plus sophistiqués dans la maîtrise des charges, des composants, de l’usinage et si vous mettez de côté les marques qui ne vivent que du marketing ou partent sur des solutions techniques flamboyantes mais foncièrement stupides, vous obtiendrez une moyenne globale des productions actuelles nettement supérieure aux plaisirs chinés dans les brocantes.

 

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