par LeBeauSon - Juin 2020
Succession d’échanges étalés sur quelques années entre deux hommes cultivés et adulés chacun dans son domaine, ce joli livre fleurit de douceur, tendresse et intelligence.
La lecture n’est pas réservée aux seuls familiers de la musique classique, bien au contraire, d’autant que style et rythme rendent la ballade intellectuelle printanière et légère.
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Ces pages calmes, il faut les savourer lentement, je crois, s’immerger en apesanteur dans les conversations imprégnées de courtoisie, de parfums de thé et de petits biscuits… Peut-être même prendre le temps de suivre les œuvres évoquées par les interprètes posés dans la balance de l’infini par les deux compères.
Si je regrette personnellement que l’ « interviewer » Haruki Murakami, écrivain japonais de haut vol et grand connaisseur du jazz, prenne un peu trop d’espace de mots face au Maestro, qui parfois n’intervient que de quelques comma de nuances où l’on devine le sourire sobre et bienveillant du sage après un long monologue de son hôte, le parcours de vie personnelle et de vie musicale du musicien livre une vision émouvante d’un pan entier de notre culture.
On perçoit parfois différemment des œuvres ou des interprétations qu’on croyait connaître à travers les ressentis croisés des deux piliers, jamais doctes, même si Murakami parfois ose des affirmations plus définitives.
On regrette de ne pas en apprendre plus sur le parcours de l’immense chef japonais, mais l’ouvrage n’est pas une biographie. A preuve n’est pas évoquée la légendaire traversée de l’Europe en mobylette pour rejoindre Berlin.
On sourit à ses réserves sur ses propres interprétations quand il les redécouvre.
On sourit face à sa feinte ignorance du jazz et du blues.
On sourit à sa volonté d’humanisme permanent qui, évoqué à travers les voiles élégants d’une part noble de la culture japonaise, peut parfois confiner à la candeur.
On frémit de gratitude, teintée d’un rien de méfiance face à un monde objectivement très privilégié, à la vocation qui anime le grand Ozawa à transmettre aux jeunes générations le savoir, la nuance de l’expérience, la considération des traditions avant de les outrepasser.
On pourra regretter que ne soit pas évoquée son approche pourtant passionnante de quelques œuvres majeures de son répertoire tels les Gurrelieder de Schoenberg, le Château de Barbe Bleue de Bartók.
On percevra sans doute le tyran Karajan avec un regard beaucoup plus indulgent à considérer le respect, la reconnaissance que le Maestro Ozawa voue à un maître empreint de patience, de recul, de prévention et d’affection et dont l’enseignement, souvent par le questionnement ou la suggestion, illustre une sagesse de pédagogue qu’on n’aurait pas forcément imaginée… On comprendra que le rejet perpétué par certains du musicien Karajan est vain : Ozawa en explique magnifiquement, l’air de rien, ce qui en a fait un directeur d’orchestre unique dont l’âme était totalement vouée à l’art ; et fi ! des aspects controversés.
On devine le portrait contradictoire de Bernstein, intrépide, impatient, féminin, gourmand, pétri de contradictions.
On déambule ainsi dans une longue galerie de noms émouvants de la musique…
J’ai versé quelques longues larmes à l’évocation par Maestro Ozawa de son ami Claudio Abbado au fil d’épisodes de leur(s) vie(s) où toujours l’un des derniers survivants des Titans de la Musique vibre de piété au souvenir d’instants drôles ou énigmatiques ou extraordinairement beaux, lisérant pudiquement la bouleversante humanité de l’Italien suprême.
Enfin, la « spécificité » immanente de Mahler face à l’héritage d’un patient mais inexorable renouveau musical dans la tradition germanique - reliant Bach à Webern - est finement décryptée par le plus européen des musiciens japonais : Seiji Ozawa. Rien que pour ce bref passage, l’ouvrage vaut la découverte.
Une pause de sérénité bien trop courte…