à l’oreille





ppfff AVA II

Le rejet de l’anhédonie…

par LeBeauSon - Décembre 2022


Perception d’ensemble

AVA 2 est l’enceinte de l’œcuménisme et de la passion ; passion mélomane en recherche de vérité expressive, d’absolu ; passion tout simplement. Pour ceux-là, il sera difficile de lui trouver une concurrente apte à procurer un lien si direct au recueillement, à l’intimité ou la joie de vivre, à une précieuse communion avec la création artistique…

Est-elle parfaite ? Evidemment pas !

Est-elle unique en son genre ? Probablement !

Par conséquent, elle ne fera pas l’unanimité, notamment chez ceux qui recherchent – et c’est parfaitement compréhensible - une reproduction musicale plus typée, moins exigeante, plus cocoonesque, plus systématiquement panoramique, édulcorant peu ou prou une vérité musicale parfois inconfortable.

NB : Code couleur pour ce banc d’essai : Or, prix supérieur à 12 000 €.

AVA 2 de ppfff est proposée aux alentours de 40 000 € avec quelques options possibles. Elle entre donc dans la catégorie Prestige où nous ne sommes pas censés donner de note. Mais bon, si le patron l’exige, on improvisera.

Ppfff duo.2 Ava blanches

 

Encore un Banc d’Essai qui va faire râler les aigris. Et les aliborons.

Remarquez, on a l’habitude.

Pour moult raisons, j’ai hésité à le rédiger ; les vipères mordront, c’est leur malédiction… Moi, j’ai cédé aux pressions ; et, somme toute, pourquoi s’interdire de parler de ce qu’on adore ?

Nous avons déjà commis le BE d’un modèle de ce fabricant français en apparence un peu fantasque et aux manifestations fluctuantes. Une marque qui, l’air de rien, affiche bientôt 10 ans au compteur mais ne semble pas stressée par la mercatique.

On suppose qu’ils s’y décident puisqu’ils ont confié la distribution à euh… un distributeur.

Quelles sont les nouvelles à propos de ppfff alors ?

Un nouveau modèle sur l’architecture de l’AVA mais en plus petite est en fin d’étude ; elle s’appellera Betty.

Et surtout l’équipe (très étendue par des bureaux d’étude extérieurs pour des aspects technologiques complexes et les phases industrielles) est très occupée par le développement d’un gros projet, honteusement compliqué, étalé sur trois ans…

Bon, parlons du présent et du modèle le plus ancien de la marque encore au catalogue, remanié il y a quelques mois : AVA 2.

Pour tout dire, l’évolution de AVA s’est faite lors de la R&D stipulée précédemment.

Alors AVA 2, qu’est-ce ?

Une enceinte acoustique.

Jusqu’ici, tout va bien.

Dont les proportions sont atypiques puisque haute et large, mais pas très profonde.

1260 x 530 x 350, hors tout pour une masse d’environ 50 kg.

Rien ne la distingue de la première version sauf l’indication AVA II au dos. Ben oui, hein.

Ainsi, pour les familiers de l’objet, que la disparition d’un connecteur au bas de l’enceinte relié au transducteur principal qui utilisait un moteur à électro-aimant. Exit donc le haut-parleur à excitation.

C’est ballot, pourront regretter les audiophiles qui voient dans ce type de moteur une sorte d’absolu.

Oui, mais non, répond le fabricant.

Diverses raisons ont conduit à ce changement : simplifier la vie à l’utilisateur, simplifier la distribution mais à une condition pas négociable : ne rien perdre des qualités primitives de l’enceinte, et même si possible, les emmener plus loin. Avec hélas une conséquence sur le prix.

La première étape de l’évolution de l’AVA 2 s’est faite par le remplacement du haut-parleur principal, puis par une série d’interventions ponctuelles pour arriver à la mouture actuelle, concernant les HP secondaires, le câblage interne, une nouvelle version de filtre et quelques remaniements mécaniques.

L’architecture technique est restée identique :

  • Un transducteur principal de 21 cm couvrant la totalité du spectre
  • Deux haut-parleurs secondaires de 38 cm venant le soutenir énergétiquement dans une zone très basse du spectre.

Peu d’informations sur le haut-parleur principal si ce n’est qu’il emploie un moteur Néodyme dont le design est spécifique ; il s’agit là encore d’une modification supplémentaire par rapport au premier proto de l’AVA 2. Les modalités de fabrication très complexes de ce haut-parleur – le cœur de l’enceinte – engendrent la majeure partie du prix final de l’objet.

Les 38 cm à moteur Néodyme sont issus du monde de la sonorisation ; dotés d’un équipage mobile léger, leur rendement est élevé mais ils ne sont utilisés que dans la partie très basse de leur bande passante ce qui étend considérablement l’ambitus utile de l’enceinte. Leur équipage mobile est retravaillé par ppfff.

Le rendement est de l’ordre de 92 dB pour une impédance moyenne de 6 ohms.

Jantzen, Mundorf, Duelund, ETI et câblage Wing à la demande du commanditaire sont embarqués dans cette dernière mouture.

Le guidage d’ondes à l’intérieur de l’enceinte a été revu par l’ajout de quelques complications asymétriques qui complexifient corrélativement les modes de résonnance des parois.

L’enceinte embarque structurellement 5 types de matériau, incluant du sable à quelques endroits clefs.

La finition de l’enceinte est peinte, mate ou laquée, couleur à la carte.

Ecoutes menées sur :

Sources analogiques : Verdier La Platine + bras Graham + Lyra Kleos + Rike + Grandinote Celio,

Sources numériques : Antipodes K50, Lumin U1 « + », Eera Majestuoso II et Meister, Accuphase DG68, Aries Cerat Kassandra II,

Amplification : Kondo Overture II, Aries Cerat Aperio, Grandinote Supremo, Tsakiridis Aeolos Ultima, Accuphase E800, Angstrom Zenith ZIA100,

Câblage : Wing, Nodal, Mudra, Absolue C.

 

Ava II 9

Richesse des timbres et équilibre tonal :

On est saisis au collet dès les premières mesures des Quatuors Op 59 n° 1 et 2 Razumovsky de Beethoven par Ebène chez Erato en 2020 par la quasi-perfection que l’enceinte ppfff distille entre piqué et soyeux, couleurs et engagement.

A l’instar de beaucoup de formations modernes, le Quatuor Ebène cultive une tendance aux nervosité outrée et contrastes marqués, option fonctionnant mieux dans le n°8 (Opus 59 n° 2) que dans le n°7. Si je regrette un manque de mystère auquel nous ont habitués Vegh ou Italiano, la constance de concentration des Français autour d’une idée maîtresse galvanise une lecture particulièrement recommandable ; d’autant que de louables déliés, une parfaite unité et complémentarité de timbres entre les quatre complices et un échange adroitement construit explicitant parfaitement la place de chacun dans la ferveur, contribuent à un excellent équilibre des gammes de couleurs, densités, rythmes et enchaînements par une virtuosité sans ambages que l’AVA 2 suit avec une maestria à hauteur de l’enthousiasme, du talent et de l’inspiration d’un cinquième membre.

Le raffinement des tonalités, pastels, pigments, couleurs ou demi-teintes, élevé à telle altitude, tient de l’art, sachant, parallèlement, que AVA 2 n’est pas de ces manipulatrices qui cherchent à dulcifier l’éventuelle verdeur d’un violon et préfère en accompagner toutes les sublimes nuances, archet, cordes et bois par leurs grain et vibrations intrinsèques ; elle est parmi la petite poignée d’enceintes que nous avons écoutées à ce jour qui respectent le mieux cet aboutissement artistique qu’est le quatuor à cordes ; je rappelle à ceux qui l’oublient qu’écouter un violon à moins de quelques mètres peut s’apparenter à un supplice surtout affirmé avec autant de ferveur que par Ebène

Sur le Zenith ZIA100 à ce moment, donc pas le plus délirant (financièrement) des amplificateurs du test.

L’apothéose florale des teintes est d’un exquis consommé ; ainsi les pupitres chauffés à blanc pour exalter les « Fêtes Romaines » de Respighi, dans le dédale frénétique de Maazel électrifiant Cleveland, révèlent un florilège de pastels ou gouaches ou pigments purs, de subtilités et de grains qui prouvent que cet orchestre – affuté par George Szell – pouvait, à cette époque en tout cas (1977), rivaliser avec les plus grandes phalanges européennes…

Par chance (pas vraiment, on l’a cherché quand même), nous disposons d’un pressage vinyle remarquable de l’œuvre qui encense l’ébouriffante puissance octroyée par Cleveland dans le tropisme Maazel.

Les AVA 2 sont à ce jour les seules enceintes que nous connaissons (soit environ… des centaines en tout cas) à même de structurer autant par la couleur que par les textures l’apothéose des feux d’artifices d’une orchestration digne de Ravel mitonnée par le méconnu Ottorino Respighi, feulements subliminaux ou éclats de folie saisissants sous la poigne élégante de Maazel érigeant le bouquet final en bacchanale angoissante, traduisant la démence névrotique d’une ivresse populaire que rien ne peut retenir, nous transbahutant comme une caméra sur un drone bourlinguant en plongée au cœur de la tempête, de rue en rue, dans une ville en effervescence furibonde évoquant l’impitoyable oppression d’une fête satanique telle que Marcel Camus a transformé la débauche effrayante du Carnaval de Rio dans le génial et terrifiant Orfeu Negro (1959).

Cette même disposition à la dextérité menant à la quintessence de la fusion timbres / matières apparaît tout autant dans le très beau titre de Tricky « Running Wild », porté par le velours pourpre de Mina Rose. Les premières mesures en vibratos électriques d’une guitare surnaturelle frémissent plus que sur tout autre enceinte cependant que la voix de Mina Rose, modelage de sensualité suggérée, en retenue, sans aucune des mièvreries de la grande confrérie du R&B actuel, malaxe une belle argile biblique en litanie mélancolique, que ponctue la nappe synthétique ondulant telle une méduse dans des mélodies internes, frôlant l’infra-grave qui nous happe littéralement par sa diligence colorimétrique sans aucune limite et sur l’ambitus le plus large qu’on puisse imaginer ; pellucide mélopée que AVA délivre sans la moindre perte d’énergie, de tension ou de transparence… Le ressenti est saisissant de pureté

… mais pourra déstabiliser : en effet, ne comptez pas sur le registre grave obèse et dégoulinant des habitudes démonstratives de la haute-fidélité et même – tout est relatif - de la première mouture de l’AVA. Ici, on semble remonter à la source de l’extrême grave, au plus près du générateur sonore… C’est moins flatteur, moins aidant pour certaines musiques à la dynamique étriquée mais incontestablement plus juste car circonstanciant la décomposition de toutes les gemmes sonores, aromatisant des timbres jusque dans des fréquences où on a peu le loisir d’en distinguer et installant une colonne vertébrale du grave à l’aigu sans la moindre scoliose ni surcharge pondérale. Pas impossible cependant que les amateurs de la première AVA – moins janséniste - ne s’y retrouvent pas vraiment.

On notera, à propos du registre grave et sur des amplis qui ne tiendront pas à fond l’enceinte, une petite tonique sur quelques notes basses, une légère redondance ou un manque d’appui selon les cas, ainsi que quelques fluctuations tonales pouvant apparaître aléatoirement dans le bas-médium.

L’explication est simple : le placement de telles enceintes – et plus que la première AVA - peut se jouer à quelques centimètres puisque, compte tenu de la quasi-absence de charge (par opposition à une enceinte close ou Bass-Reflex), la première « charge » vue par l’amplificateur, c’est la pièce elle-même. Comprenez bien que, parallèlement, aucune des vertus musicales n’en pâtit.

Nonobstant, grande ou petite, la taille de pièce importe moins que l’effort d’ajuster le positionnement. En précisant aussi que, quoi que très ouverte, l’enceinte peut être installée assez près d’un mur arrière ; elle semble même pensée pour. Or, ce n'était pas possible dans les pièces où nous étions pour les tests.

Pour autant, des amplificateurs qui la verrouillent trop (excès de contreréaction par exemple) auront tendance à juguler sa richesse volubile supérieure et c’est bien dommage : ppfff AVA 2 est un révélateur cruel de la capacité expressive réelle de toute électronique ou câble en amont.

Nous constaterons alors que des appareils qui, dans des combinaisons plus complaisantes, peuvent à la rigueur passer pour d’honnêtes choix (je parle là de références mondiales) deviennent sur AVA 2 des sommets d’ennui et de mensonge.

Qu’on n’aille pas nous parler de mariage ou autre simplification du genre : sans conteste, AVA a raison ! Elle accepte de danser avec des amplis suffisamment techniquement divergents pour comprendre que l’excellence n’a pas de couleur, la médiocrité pas de prix.

Et d’un autre côté, profiter d’AVA ne passe pas non plus par un Seppuku pécuniaire puisqu’on obtient d’excellent résultat avec un IN400 Atoll mais aussi un « petit » Tsakiridis Aeolos Ultima qui leur convient parfaitement. Ou encore l’Ångstrom Zenith ZIA100 qui n’est pas cadeau mais ne suppose pas de renoncer à financer les études de ses enfants.

Comme quoi…

Retour aux écoutes :

Récemment, le bassiste, pianiste, chanteur et compositeur gallois John Greaves a alloué des compositions à des fragments de poèmes d’Apollinaire : Zones. Invitant notamment le trop discret Bertrand Belin ou l’attachante Jeanne Added (incontestablement une vraie musicienne) au chant sur quelques pistes. Zones ne tient pas la route sur la longueur, musique plus atmosphérique que charpentée, elle tourne vite au cérébral lénifiant en dépit du lyrisme ensorcelant de Vincent Courtois. On parvient donc à ne pas être sous l’emprise d’Alcools (hihi !). En revanche, AVA 2 réussit à susciter un intérêt hypnotique pour ces mignardises en sensibilisant les couleurs à l’extrême, en fignolant les harmoniques, en lubrifiant les liens, en répandant une poudre d’or pur sur les sonorités évanescentes tissées de soie par Olivier Mellano

Ava II 8

 

Scène sonore :

Au sein d’une scène large, profonde, ouverte et respirante, dépassant aisément le cadre des enceintes, AVA 2 instaure une scénographie des musiciens scrupuleusement pointée, à condition d’avoir préalablement soigné l’emplacement des enceintes.

Auquel cas, on s’apercevra que non seulement la « ponctualité » - le bon cadencement au bon endroit - est exceptionnelle et, que ce soit par les timbres, l’image, la scène, le rebond rythmique et… euh tout le reste…, on profitera à fond du « réalisme » des emblématiques ppfff à quelque endroit que l’on arpente de la pièce d’écoute, sauf toniques marquées de celle-ci évidemment…

Et le constat est aussi flagrant sur des petites formations que des énormes choses.

Ainsi la très osée réinterprétation de Kurt Weil « der Morgenchoral des Peachum » par Joachim Kühn, Daniel Humair et Jean-François Jenny-Clark (en 1996) découpe les musiciens dans une promiscuité particulièrement imbriquée des dimensions relatives de chaque instrument (dont une contrebasse qui ne devient pas un énorme goître) rivé au sol, en dépit d’une captation « artificielle ». Le « solo » d’une grande subtilité de Humair en début de morceau illustre derrière un sensible peaussé (c’est un néologisme) un étonnant relief des fûts dont la taille devient visible, palpable, idem pour les cymbales aux couleurs variées et d’un poids enfin proche de la réalité… Ce même morceau est aussi significatif de l’aptitude superlative au swing de AVA avec un Jenny-Clark ô combien éloquent, mais nous y reviendrons plus tard. On peut s’interroger sur la masse du piano, qu’on pourrait souhaiter plus pleine – là encore, le placement n’est pas neutre – d’autant que les notes aigues dénoncent une harmonisation un peu « fêlée », cependant que les appuis de la main gauche dégagent une résolution, une intensité et une imposante robustesse qui ramènent au juste gabarit du monument.

Dans l’extraordinaire remasterisation HR de la 5e de Beethoven (si si) par Karajan (si si) version 62, on ne sait que louer sous l’égide de AVA 2 : l’ahurissante nervosité tout en moelleux de l’orchestre ridiculisant les bravades des gourous baroqueux ? Le relief magique déployé par les peintres musiciens du Berliner Philhamoniker ? La fantastique affirmation d’un triple « Moi Je » : Beethoven, Karajan et Sa Rolls (le Berliner Philharmoniker, au cas où ça ne serait pas clair).

Ou encore le sensationnel plaisir offert à l’esprit de baguenauder dans un orchestre organiquement incarné pour savourer chaque instant, chaque soliste ou pupitre, collier de diamants polis par les doigts d’orfèvre du Maestro sans doute parfois contestable, mais pas ce jour-là !

AVA 2 nous assied à une place privilégiée de la Jesus-Christus-Kirche Berlin Dahlem afin de jouir d’un dégagement quasi visuel des pupitres nous invitant à observer chacun des musiciens de haut vol dans sa concentration empressée.

Pour passer à un enregistrement plus récent (2021) on a choisi le Concerto pour Piano et Orchestre « Résurrection », version 2007, de Krzysztof Penderecki par Barry Douglas à la mandoline (cherchez l’erreur), l’Orkiestra Filharmonii Narodowej (ouais, bon : le Warsaw Philharmonic) sous la direction d’Andrzej Boreyko.

Si cette œuvre en trois mouvements ininterrompus n’est pas la plus complexe de l’illustre Polonais - écrite pour un orchestre plutôt cossu dans un langage néo-romantique, savamment étoffé de figures plus expérimentales, ouf -, elle n’est pas pour autant joyeuse – sans tourner au lugubre - et pourrait aussi bien avoir été écrite pour dénoncer la guerre en Ukraine, tergiversant entre martèlements guerriers, paysages détruits, suspensions inquiétantes et élans d’héroïsme porteurs d’espoir qui nous immergent au cœur de questions et inquiétudes si actuelles dans un grand spectacle dont nous serions aussi acteurs. Et d’autant plus impliqués que l’AVA 2 nous attribue là encore un siège au premier rang du grand théâtre musical de l’œuvre, où la perception des matières est concrète, les positionnements des instrumentistes – dont un piano impeccablement proportionné - aussi inamovibles que les 8 000 soldats de l’armée de terre cuite de Qin Shi Huang ; en plus vivants ; et même vitaminés ! AVA 2 nous interdit dès lors la moindre distance émotionnelle par sa probité nous plongeant dans le déferlement de nos troubles enfouis.

Et pour changer radicalement de style (tout en restant dans l’expérimental), plongeons dans l’univers qui est classé Hip-hop voire Rap mais tient aussi du Punk Rock, de l’Electro indus déjantée et de l’énervement Métal : j’ai nommé Ho99o9 (paraît qu’il faut prononcer Horror, j’avoue que je n’ai toujours pas décrypté l’anagramme).

SKIN, album de 2022 s’ébrouant entre colère, provocation, humour et bluette ne conviendra pas à toutes les oreilles notamment les plus sensibles. Mais le factum, monstre hybride aux gueules d’hydre bariolées, dépasse tout ce qu’on peut imaginer en inconfort territorial et rend bien pâles des figures majeures des styles saccagés ou sublimés par le duo américain. Alors je sais : on m’opposera que choisir un tel fléau pour évoquer la scène sonore réalisée à coup de déphasage, de panoramiques (autre forme de déphasage) et de « Delay » n’est pas significatif.

Ben si. Je suis désole… (je ne me souviens plus d’où je tire ce barbarisme. Un film, évidemment, mais lequel ?)

D’abord, je précise que AVA 2 n’est pas génériquement discriminante : elle aime toute musique et en dégage la puissance poignante si elle en contient, ce qui est le cas ici. Ensuite, le travail de production sur cet improbable édifice cataclysmique est paradoxalement mitonné aux petits oignons, jouant beaucoup de l’appropriation de l’espace par une quantité inouïe de pépites sonores… Dans ce genre de performance, AVA 2 projette un vidéogramme 3D où la texture des matières parachève l’éclat du réel.

Ava II 8

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Réalisme des détails :

La transparence intégrale est une caractéristique majeure de cette « enceinte acoustique » qui ne sonne absolument pas comme une enceinte, mais évoque plutôt quelques panneaux à ruban ou électrostatique par l’absence totale de son de boîte.

Pourtant, à la différence de ceux-ci, on ne subit aucun traînage dans le bas, ni le moindre outrage des dimensions relatives des interprètes, et surtout pas cette sensation que le corps pourrait suffire à compenser le manque de substance, où la rondeur et une forme de poids devraient remplacer la densité osseuse et corporelle.

On est au contraire face à une enceinte dont la rapidité – avec le corollaire d’enveloppes de notes inlassablement variantes – constitue le soubassement ADN.

Et si certes AVA 2 dégraisse, affute les muscles jusqu’à la fibre, elle ne décharne pas et sait même se montrer voluptueuse. Du moment que c’est dans la gravure. C’est très différent, croyez-moi et surtout peu fréquent.

Pour s’enfoncer dans les œuvres pas simples à décrypter sans devenir cinglé (pour moi, c’est fichu…), enchaînons sur les scies emphatiques introduisant Jonchaies (1977) de Xenakis qui, sur la plupart des enceintes, tournent à la torture.

Ma version préférée reste celle particulièrement sauvage d’Arturo Tamayo en 2001 à la tête de l’Orchestre Philharmonique du Luxembourg (autrement dit la moitié des habitants, ceux qui ne sont pas dans la finance), même si on peut regretter que ce ne soit pas le meilleur orchestre du monde (je rêve d’entendre Vienne ou Dresde (la Staatskapelle) ou autres affrontant un tel mutant musical digne des pires cauchemars de Jack Kirby).

Dans ce déferlement de harpies dopées par Rob Zombie, AVA 2 par sa clairvoyance rarissime décortique la pelote harmonique avec la patience d’une maman suricate, évite le saignement d’oreille et illumine la redoutable profusion et complication de l’orchestration (109 musiciens, quand même) ainsi que le très élaboré échafaudage rythmique aussi bien dans ses instants de désynchronisation purement géniaux que dans ses figures internes aux cellules aléatoires formant un tout à l’apparence fouillis où néanmoins se distinguent deux plans sonores : bois, cuivres et percussions forgent une armée belliqueuse, limite barbare tandis que les cordes disposées en arc de cercle autour du chef entretiennent un discours austère, discipliné… une fois passés les accords plus stridents encore que la scène du meurtre sous la douche dans Psycho de Hitchcock.

AVA 2 désentrave ce pensum sans ciller d’un œil ou frémir d’une oreille, canalisant les scories harmoniques dans une coalescence parfaite de la combinaison « temps / espace » - inférence heureuse de la rapidité - au risque de dévoiler dans cette fureur assaillante quelques manques d’un orchestre cependant tenu d’une main d’acier par le chef sorcier qui maîtrise parfaitement la rouerie d’un Xenakis déterminé à nous balancer son art de l’extrême à la gueule.

On passe ainsi d’une œuvre qui peut virer cacophonique à une chaîne de saillies iconoclastes, de glissades harmoniques jaillissantes et oraisons jaculatoires (non, il n’y a pas de faute, j’ai quand même un minimum de dignité) d’une exceptionnelle audace d’inventivité, de prouesse rythmique jouant de la déstructuration de celle implacable du Sacre du Printemps, repoussant la limite des individus ou pupitres vers leurs ultimes degrés gores dans une symphonie pourtant infiniment poétique derrière un acte cérébral absolu rappelant que, même au pire de la théorisation, l’humain - dès lors qu’il approche du génie - transcende la volonté froide.

Sauf chez Schoenberg peut-être. Ou Boulez.

Nous utilisons parfois l’image d’une vitre plus ou moins grande et propre donnant sur la musique : AVA 2 ouvre grand cette baie panoramique, nous incite à franchir le seuil, aller sur la terrasse, la scène, errer dans le proche sous-bois

… ou tomber dans la piscine parce que, grisé d'euphorie, on n’a pas fait attention…

Petite info pour ceux que le défi abrasif de la lecture Tamayo de Jonchaies rebuterait : la version de Gilbert Amy avec le Nouvel Orchestre Philharmonique est plus civilisée…

Et pour continuer d’exiger de AVA 2 qu’elle rompe la distance aux musiciens, qu’elle titille leurs tics ou manies, nous fasse vibrer à leur intime agitation, j’ai choisi un nouvel exercice alambiqué, que j’aurais aussi bien pu réserver pour la rubrique suivante.

Il s’agit de la dernière rafale forcenée (en date) de Mike Patton qui, en cure de désintox post-Covid, vient d’ingurgiter un jerricane de Propergol qu’il n’a même pas partagé avec son complice d’antan dans Mr Bungle : le batteur Dave Lombardo. Faut dire que le gus n’en a pas besoin puisque, tel notre bon vieil Obélix national, il est auto-gavé depuis tout petit au Speed métabolique, toujours aussi remonté qu’un champion de boxe thaï sniffant des rails d’amphètes aussi longs qu’une ligne de TGV Paris-Bangkok.

Ça n’existe pas ? Ecoutez ce méta-humain et on en reparle.

Sérieusement, Dave Lombardo est peut-être le batteur le plus balèze de l’univers métalleux, par sa santé d’athlète et ses combinaisons de jeu et prolepses qui pourraient suffire à créer une anthologie aussi fournie que l’Encyclopaedia Universalis. Ce qui ne signifie pas que je le consacre au pinacle d’un podium qui n’a aucun sens.

Le groupe s’appelle Dead Cross et l’album II. Parce que c’est leur deuxième album. Même moi j’avais deviné.

Donc : Dave Lombardo à la matraque, Justin Pearson au marteau-piqueur, Michael Crain à la ponceuse, et Mike Patton au chant. Hurlement ? Grunt ? Death Growl ? Tronçonneuse ?

Pourquoi encore un disque revendicateur et crade ? Précisément parce que pour l’avoir découvert sur une chaîne pas donnée mais sans grand intérêt, j’avais eu l’impression d’un mixage favorisant exagérément la voix (les éructations ?) renvoyant les camarades pourtant pas fainéants dans le garage de la maison, celui qui est cuirassé contre une alerte atomique.

Sur AVA 2 - en l’occurrence alors alimentée par un Kondo Ouverture II -, l’intégration des musiciens est bien supérieure et on peut sans peine se vautrer au milieu des affreux sales et méchants en leur tirant la moustache si l’envie nous en prend. En découvrant d’ailleurs que parfois les phases irritées tiennent de la posture entre le Punk, le Thrash et le Hardcore s’éreintant sur une alternance de titres rebelles, frontaux ou brutaux, d’autres plus expérimentaux à la Mr Bungle, même si, globalement, le surf sur les arythmies, les désynchronisations, les punchs, coupent le souffle en dépit d’apnées assez profondes pour connecter en plongée la Méditerranée et la Mer de Chine…

NB : lorsque j’ai dit posture, il ne faut pas le prendre au premier degré. Je précise donc qu’il y a une sorte de hiatus entre le soin obsessionnel et léché de musiciens hyper pointus (Dave Lombardo semble s’entraîner pour les Jeux Olympiques des Super-Héros) et des textes respectant la tradition punk…

… Aïe… Contresens ?

Le militantisme alors ? Planqué sous le jean-foutre ?

Ce qui n’est pas très punk en revanche, c’est de déguster avec un ravissement coupable ce type de musique sur une chaîne à plus de 100 k€. C’est même carrément décadent. Or, ça le mérite !

 

Ava II 10

 

Qualité du swing, de la vitalité, de la dynamique :

On l’aura remarqué : nous avons soumis les enceintes ppfff à un enchaînement d’épreuves martyrisantes. Pas par auto-flagellation mais parce qu’il est si rare de pouvoir vivre à fond des musiques alambiquées ou tordues qu’on ne s’est pas privés d’essayer de pousser ces objets dans leurs retranchements. On n’a pas réussi. Ah si : j’ai proposé Dany Brillant. L’enceinte a refusé. Mes camarades aussi. Racistes !

Allez, parlons swing maintenant.

Swing. Un mot qui, de sa base étymologique à son ressenti, peut revêtir mille sens.

On parlera par conséquent de swings, au pluriel et même de swings torsadés de tous les instants dans l’album génial de TU qui s’appelle TU.

TU quoque mi fili ?

Enfant légitime de la plus récente formation de King Crimson, TU est le groupe formé par Pat Mastelotto à la batterie et Trey Gunn à la basse et War Guitar.

Trésors d’inventivités de monstrueusement musclés (Untamed Chicken) où Pat Mastelotto déroule une virtuosité qui ridiculise les poids lourds de la profession, à ouvertement poétiques, alors que la musique n’est que rythmique et ictus créant la mélodie, les deux experts, parfois assistés par la voix de Hirotaka Sunplaza Nakano dérivant tel un oiseau porté par le vent, brodent une palette alambiquée des formes diverses que le swing peut revêtir, qui fait d’ailleurs la richesse d’un disque qu’on pourrait considérer conceptuel si AVA 2 ne nous prouvait sans relâchement qu’il ne l’est jamais et est au contraire si dominé par deux artistes peu désireux de prouver leur talent, qu’une forme de détachement, d’esprit, illumine ce parangon de créativité.

Allez, il est temps dans ce chapitre, d’enfin passer à la légèreté avec Fred Astaire (qu’y a-t-il d’aussi agile qu’une flammerole ?) virevoltant sur Puttin on the Ritz dans la version arrangée et enregistrée par Oscar Peterson en 1953, avec Alvin Stoller déchaîné, Charlie Savers facétieux, Flip Phillips souriant de soixante-quatre dents, Ray Brown en lyrisme aussi vif que le danseur dandy. AVA 2 est à la fête sur cet allègre moment où le swing est une raison d’être, d’emballement, d’ivresse débridée sans aucune limite, à même de pourvoir un paraplégique des dons naturels du Tourbillon de la Danse.

Instant plus que jouissif, c’est un retour aux sources du swing !

Que nous prolongerons avec Little Willie John (le créateur de Fever en 1956) avec My Love : le R&B / Soul dans ce qu’il a de plus pur, estompant possiblement Sam Cooke ; ou Jackie Wilson plus proche des fondations du Funk / Rock ; AVA 2 efface l’âge de la bande pour nous transporter dans ces années qui allaient imprimer une iconographie irremplaçable dans nos âmes nostalgiques des racines du groove.

Deux disques ensuite pour à nouveau tester les limites – s’il y en a - de l’enceinte :

Pas à pas – Nulle part Op 36 de György Kurtág par Kurt Widmer (Baryton), Hiromi Kikuchi (Violon), Ken Hakii (Alto), Stefan Metz (Violoncelle), Mircea Ardeleanu (percussions).

Mieux que toute autre, AVA 2 habite la minutie obsessionnelle des musiciens dans ce moment de pure grâce, en apesanteur sur quelques mesures pouvant basculer vers une brusquerie inouïe de percussions démoniaques en un battement de cil, dont l’enceinte ppfff va estamper les matières – l’aperception du bois des baguettes est stupéfiante -, leurs échos et leurs ombres dans votre salon assénant des impacts d’une brutalité pour une fois plus que plausible pour atteindre au réalisme, ou des chuchotements dont la densité préserve toute la saveur !

On a aussi essayé ces passages sur l’Aperio, dernière incivilité commise par le Chypriote Aries Cerat et là, on est à la limite du tremblement de terre sur de telles élucubrations dynamiques. AVA 2 s’en moque : elle sait et aime suivre de tels excès de vigueur qu’elle maintient par une rigueur digne de Yip Kai-man.

Et puis, pour clore la rubrique en beauté : Kim, extrait de BLUSH par l’épileptique trio londonien qui tue : PVA

Ou : « comment casser vos enceintes » sous le déferlement de titres composés au Napalm qui nous remakent « La Fièvre du Samedi Soir » version Rambo chapitre 55 vitrifiant le dancefloor au lance-flamme.

L’album se balade entre House, Acid, Indus-Core sevrés à la techno des années 90 toutefois appuyée sur une vraie rythmique, je veux dire encristée par de vrais musiciens dont un batteur aussi costaud que Dave Lombardo en plus concis mais pas moins herculéen.

Présenté de la sorte, on peut supposer que c’est bêtement sommaire, mais non : AVA 2 donne le ton, une fois de plus ; certes, Kim peut envoyer valdinguer votre système vers l’AVC ; alors que AVA 2 ? Même pas peur ! Elle aura au contraire le culot d’établir combien cet « opus » est créatif, malin, exclusif, aussi spectaculaire et respectueux de son public qu’un blockbuster de Steven Spielberg !

Qu’est-ce que ça pousse ! On a écouté ce morceau (et tout l’album, purement jubilatoire) à un niveau qui enverrait tous les zombies de boîte de nuit dégobiller leur soûlographie quand les AVA 2 semblaient se moquer de notre impéritie !

Ava II 6

Expressivité :

A propos des Vegh évoqués ci-dessus plus haut en amont – ne cherchez pas le lien avec PVA -, notez la très belle réédition HR chez Praga en 2017 de l’intégrale des quatuors de Bartok par le Quatuor Vegh.

A ma grande surprise (quand on se délecte de la justesse de la prise de son) il ne s’agit pas de la version Valois enregistrée par Georges Kisselhof en 72 mais de l’édition Columbia de 1954 !!!! Quelle cure de jouvence mettant en exergue l’infinie expressivité de cette lecture de référence, performance réitérée en 72, soit !

Certes, l’aigu est un peu court (l’enceinte n’y est pour rien, d’autant que le poids des substances est irréprochable), mais les rebonds, les croisements de teintes et boisés et surtout la sensation d’une matière champlevée au plus près de la vérité et ce jusque dans les murmures subliminaux, sont sertis dans le cœur par AVA 2.

J’avais le souvenir d’un son acide sur cette captation, mais pas du tout, plus du tout : tension, vitalité, élan, discernement conceptuel sont incrustés dans nos entrailles par des musiciens qui semblent se concentrer religieusement sous le regard impitoyable du compositeur.

Quelques admirables effets d’incarnation du violoncelle sont particulièrement saisissants, d’autant qu’elle s’accompagne de cette sensation pas si fréquente en hifi de voir les mimiques et gestuelles des musiciens derrière leur outil !

Allez zou : épreuve suivante, et croyez-moi, il y a un lien.

Ceux qui nous lisent régulièrement auront remarqué mon attachement au groupe suisse de rock indus / électro, The Youngs Gods.

Leur nouvel ouvrage devra faire figure de référence à côté de celle Paul Hillier (2005) dans l’adaptation de l’œuvre majeure de Terry Riley : In C, conçue en 1968.

Rappelons que Terry Riley est l’un des pionniers de la musique minimaliste et répétitive américaine à l’instar de Philip Glass et Steve Reich.

In C est une bizarrerie puisque composée de 53 riffs que les interprètes peuvent répéter autant de fois qu’ils le veulent… On passe ainsi d’une partition tenant sur une page à des interprétations qui peuvent dépasser une heure.

La revisite par The Young Gods est la démonstration d’une maîtrise démoniaque ou extatique et transcendantale par ces vieux démons qui filent un sacré coup de jeune à une composition pouvant aussi bien être ennuyeuse, comme on l’a entendu parfois (notamment la version bien trop codée et vieillotte confiée à 10 musiciens dont Terry Riley en 2009 publiée par Carnegie Hall) ainsi, au passage, qu’à la musique électro en l’extrayant loin de ses carcans gnangnans.

Décidemment quelle étrange formation que celle-là qui ne craint pas de produire des bijoux en se passant des potentialités vocales sans limite du patron, Franz Treichler

The Young Gods jouent avec nos nerfs, notre capacité à résister à la claustrophobie narcissique inférée d’oblongues anneaux perpétuels sculptant des intersections de labyrinthes qui débouchent sur un autre labyrinthe par une intelligence conceptuelle accédant à la canopée artistique. Les rares espaces de liberté ne sont que fausses pistes, générant d’éreintantes répétitions sillonnées d’évolutions subtiles, brefs geysers acides, harcèlements percussifs en transe, ruptures abyssales nous précipitant dans un gouffre qui lui-même abrite un nébuleux mais merveilleux cycle étouffant… Telle maligne oblation sans cesse réinventée nous confronte à nos propres zones d’ombres, nos névroses, nous interdisant de fuir ; voire mieux encore - car le tableau surréaliste animé est aussi absolument somptueux que maléfique - de simplement vouloir fuir, mettre en pause ou couper l’interrupteur d’un signal d’alarme qui sonnerait depuis si longtemps dans les méandres de nos angoisses que l’on n’en perçoit plus le message, croyant en avoir appris et discerné les composantes alors qu’il est devenu une suite de mots décomposée en chaine de lettres muettes à force les avoir fixés …

Transmise par AVA 2 et peut-être à cette condition seulement, la musique des Young Gods assène des séries de martèlements dans nos âmes avides de réponses existentielles, pulsation lente ou rapide d’un battement contre un résonateur métallique, égarant les sons pourtant purs dans une suite granuleuse de boucles et collisions en un lugubre ressac d’harmoniques ; ainsi, le son a cédé la place à un Métason dont le flux et reflux ne sont plus la pulsation des ondes de compression mais le lent va et vient de notre conscience du son.

Outre la compréhension enfin viscérale de la conceptualisation de Riley, les papys (Treichler a mon âge) redonnent du sens à l’électro pour l’élever au zénith d’un renouveau de la musique contemporaine.

Preuve que ce n’est pas dans les vieux pots qu’on fait les sourds.

Et afin de quitter un enchaînement un peu sombre, avouons-le, entre la farce expressionniste de Kurt Weil, le thrène poignant de Penderecki et l’explosion horrifique sous acide de Ho9909, je vais me replonger dans un souvenir ému pour m’apercevoir que, via AVA 2, la tendresse pour un album peut virer au choc passionnel : le premier recueil de Sneacker Pimps, Becoming X en 1996. Un peu ténébreux aussi, réflexion faite…

Album découvert par la chanson 6 underground utilisée dans « le Saint » - de Phillip Noyce qu’on a connu plus efficace, avec Val Kilmer qu’on préfère moins cabotin -, réussissant à doter d’une épaisseur psychologique une scène à peine intéressante de ce médiocre film.

L’album entier, trip-hop urbain minimaliste mais soigné, composé de sonorités qui, tout compte fait, ont moins vieilli que certains Massive Attack, appuyé sur le timbre aigu, légèrement nasillard mais si sensuel de Kelli Dayton et sa prosodie juvénilement pleureuse qu’on caserait de nos jours dans la catégorie Bedroom Pop. Je sais : ce n’est pas un style théoriquement ; mais le sillon creusé en devient un depuis Billie Eilish, non ?

La symbiose voix angélique / arc en ciel sonore / feulements rythmiques déhanchés fonctionnent à merveille sur AVA 2 qui, en outre, intrique les « sons » dans un espace aéré mais fermement délimité, telles les pièces d’un échiquier aux postes imposés dans le Palais de Hâroun Ar-Rachîd (et ses huiles) (qui n’étaient pas des plaisantins) (ça fait un peu aventures de Tintin, non ?)

Autre instant de légèreté (oui, bon) avec le baryton, originaire de Bolzano, Andrè Schuen et son complice Daniel Heide (toujours ce son perlé d’une suavité recueillie mais un accompagnement un rien moins inspiré que dans le magnifique pétrarquisme de La Belle Meunière où le pianiste teuton savait fleurir son soutien d’ornements « vocaux ») qui nous offrent une revisite bouleversante du Schwanengesang et Dieu sait que ça n’est pas facile parce qu’il y a de la concurrence ! Passionnante évidence que le total contrôle du souffle et des labiales, de la diction entre douleur, fierté et virilité, la phonologie et le dosage littéraire hautement inspirés nous conduisent au féerique, cette étrangeté indéfinissable qui sous-tend, si possible, la magie même de nos bouleversements intimes.

La livrée de ce dernier opus, comme Vegh précédemment, souligne la prestance organique des musiciens y compris dans les instants proches du silence et même DANS les silences… Savourez la lente mélancolie amère longeant les ténèbres de « Der Dopplegänger » sur des AVA 2 et nous en reparlerons…

Et puis, pour clore le chapitre émotions, après le pensum consacré à Apollinaire, j’ai eu envie du brûlot d’intensité épuré par Bernard Lavilliers déclamant Est-ce ainsi que les hommes vivent ? adaptation de Ferré d’un texte de Louis Aragon (Bierstube Magie allemande) …

Bon sang, que cette version est bouleversante, AVA 2 ne nous épargnant rien des variations de scansion et de ton du encore crédule Bernard Lavilliers. Le texte revisité nous tire des larmes dont nous n’avons pas honte

Ce fut en avril cinq heures

Au petit jour que dans ton cœur

Un Dragon plongea son couteau

 

Est-ce ainsi que les hommes vivent

Et leurs baisers au loin me suivent

Comme des soleils

Révolus

 

Je crois que je pourrais me damner pour avoir écrit ces quelques mots.

 

Plaisir subjectif :

Difficile de ne pas avouer un plaisir intégral après ce que nous avons vécu et décrit dans les rubriques précédentes.

AVA 2 est l’enceinte de l’œcuménisme et de la passion ; passion mélomane en recherche de vérité expressive, d’absolu ; passion tout simplement. Pour ceux-là, il sera difficile de lui trouver une concurrente apte à procurer un lien si direct au recueillement, à l’intimité ou la joie de vivre, à une précieuse communion avec la création artistique…

Est-elle parfaite ? Evidemment pas !

Est-elle unique en son genre ? Probablement !

Par conséquent, elle ne fera pas l’unanimité, notamment chez ceux qui recherchent – et c’est parfaitement compréhensible - une reproduction musicale plus typée, moins exigeante, plus cocoonesque, plus systématiquement panoramique, édulcorant peu ou prou une vérité musicale parfois inconfortable.

 

Rapport qualité / Prix :

C’est expliqué ci-dessus : pour le mélomane, déjà aisé, ce sera une forme de Graal.

Pour ceux qui ne comprendront pas, ce sera une hérésie.


Note du Boss :

La récompense Diamant sur Canapé s’impose ici, évidente, peut-être plus encore que pour n’importe lequel des appareils que nous avons mis en exergue.
AVA II repousse les limites de perception d’une enceinte acoustique.
L’approche jusqu’au-boutiste des concepteurs guidée par le plaisir et la justesse de l’écoute conduit à des résultats simplement sensationnels et rares.

C’est pour des écoutes comme celles que propose AVA II que nous aimons publier.
Elles font partie des rares produits qui indiquent clairement ce qui devrait être un nord magnétique audiophile enthousiasmant.

Ava II 9

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