Tune Audio Anima : au cœur du cœur
Par LeBeauSon - juin 2024
Perception d’ensemble
Indubitablement, parmi les multitudes d’enceintes que j’ai écoutées depuis des décennies et a fortiori parmi celles qu’on a testées, y compris les plus prestigieuses, il en est très peu qui peuvent, aussi formellement que les Anima de Tune Audio, établir ce que nous attendons de l’expressivité en hifi.
Majoritairement, les audiophiles hypnotisés par leur vision des 10 secondes isolées d’un de leur 3 disques préférés ne comprendront pas ce type de restitution plus vraie que nature, chercheront les défauts et évidemment en trouveront quelques-uns car tout ce qui a du caractère, de la personnalité, s’expose plus que le politiquement correct ou le profil bas.
Tant pis pour eux : place aux mélomanes qui, de la même façon, ne devront pas se concentrer sur deux ou trois critères anecdotiques mais prendre en compte les dimensions, les excès et les imperfections du concert, du concret, de l’authenticité.
Le prix de ces enceintes (46 000 € la paire) les fait entrer dans la catégorie Prestige où on n’est pas supposé donner de notes.
Pas si simple de raconter ce qui se passe en compagnie d’engins de ce genre.
Un grand système à pavillons avant.
C’est en effet une expérience visuelle et sonore en marge de la haute-fidélité dominante qui n’hésite pas à présenter des obscénités plus encombrantes encore, utilisant des transducteurs chargés uniquement à l’arrière, en Bass-Reflex ou enceintes closes et rayonnant directement.
L’Anima, objet assez encombrant, m’a toujours fait penser à une version stylisée du Roi sur un échiquier.
Je suppose qu’elle ne peut pas laisser tiède : on aime la sculpture indatable où on la rejette. J’en ai vu des versions dont les finitions bois mal choisies les rendent, euh… indescriptibles. Mais Tune Audio autorisant un assortiment de finitions peintes (ici une couleur Mercedes des années 70), il y a moyen d’en faire des objets réellement harmonieux.
Des enceintes à pavillons avant, il en existe certes quelques-unes sur le marché ; nettement plus rares sont celles entièrement à pavillons (jusque dans le registre grave), et elles sont très encombrantes et très très coûteuses. On pense en premier lieu à Cessaro ou Living Voice.
Proposées aux alentours de 46 000 €, les grecques Anima sont vraiment très bien placées. J’imagine que pour beaucoup d’entre nous, ce genre d’allégations peut paraître dédaigneux, mais la haute-fidélité n’a pas de limite dans ses excès. Elle oublie en revanche trop souvent son rôle de vecteur culturel. Dès lors, tout est question de proportion.
Un pavillon qu’est-ce que c’est ? J’hésite à me lancer, on verra en fin de test si j’ai le courage, la documentation sur le sujet étant quand même vaste.
Nombreux sont les adeptes de cette technologie, considérant qu’elle seule consent à reproduire l’énergie physique et la densité du vivant. Je me sens proche de ceux-là ; à condition de ne pas faire les choses à moitié et de ne pas se rater.
Pour une entreprise, oser se lancer dans tel défi confronte à un lot peu commun de difficultés, incluant précisément les dimensions induites, des codes esthétiques peu négociables et le cortège de contradictions techniques, de difficultés de mise au point, d’écarts de rendement entre les transducteurs, une mise en phase rendue complexe par les distances inévitables entre les sources émissives, les résonances de pavillon, les choix des matériaux, les calculs d’expansion, qui ont certes pour la plupart été mis en équation, sachant, pour être francs, que leur dessin final relève du tâtonnement, de l’expérience ; de la cognition.
D’ailleurs, bon nombre de réalisations à pavillons régalent le Do It Yourself avec plus ou moins de bonheur.
La démarche de Manolis Proestakis (M. Tune Audio) est originale et vérifiée sur toute sa gamme désormais étoffée, qui débute avec la « petite » Prime (9 500 € la paire) et monte jusqu’à l’impressionnante et très raffinée Avaton (264 000 €) auxquelles viennent s’ajouter 2 modèles de voie grave.
C’est la redécouverte des Marvel (16 000 €) au High End 2024 qui m’a redonné envie d’écrire un BE des Anima que j’avais laissé de côté. Donc retour aux écoutes obligatoires. 800 kms de route et un quintal de matos dans le coffre…
Démarche originale, écrivais-je : oui car toutes les créations Tune Audio partagent le même principe : les pavillons avant couvrent la totalité du spectre utile. Pas de voie grave standard, des boomers (euh) en bass-reflex pour faciliter la réalisation.
L’Anima est une trois voies, trois transducteurs, trois pavillons.
La particularité première concerne la voie grave, précisément. C’est elle qui revêt cette forme de Tour d’échiquier. Au sommet, le petit container bride un haut-parleur de 38 cm dans une charge étroite pour créer une compression et ainsi contraindre l’impédance acoustique que le pavillon va ensuite accorder à celle de la pièce.
L’audace consiste, pour éviter un pavillon soit trop long soit trop évasé, à le diriger vers le sol afin d’en prolonger l’expansion sans nuire au rendement élevé par une compression trop faible.
Est donc prévu, selon la nature du sol et des caractéristiques de la pièce, d’ajuster la réponse dans le bas en jouant de la hauteur des pointes sous le caisson. Ajoutons que ce principe supposera de ne pas trop éloigner l’enceinte du mur arrière, ce qui peut souvent rendre service.
La voix médium, à partir de 250 Hz, utilise un 13 cm Fostex, lui aussi dans une charge le compressant, ouvrant vers un pavillon circulaire de type Tractrix tourné dans du contreplaqué multiplis de bouleau. L’ensemble couvre un peu moins de 3 octaves et le haut du spectre est ensuite confié à partir de 1500 Hz à une chambre de compression B&C « chargée » par un pavillon circulaire exponentiel en Epoxy.
On découvre à l’arrière deux potentiomètres pour ajuster les niveaux de la voie médium et de la voie aigue.
On se doute qu’avec de telles dimensions et réalisées essentiellement en multiplis, ces enceintes font leur poids : 85 kgs pour 158 x 87 x 87. Centimètres.
Le rendement est très élevé : 109 dB/2.83 V, impédance de 8 ohms.
Le rendement ne disant pas tout, je précise que c’est une des rares enceintes du marché qui permette vraiment d’utiliser des amplificateurs de style mono-triode peu puissants (mais pas fainéants) car le 38 et son pavillon ne semblent pas épuiser les électroniques en amont.
Ecoutes menées avec :
Platine Verdier La Verdier, bras Graham 12 pouces, cellule Lyra Kleos et divers préampli phonos : Rike, Aurorasound, source numérique Antipodes + Dac Helena et Kassandra Signature Aries Cerat, Eera Meister, amplificateurs Grandinote Supremo, Aries Cerat Genus et Aperio, Tsakiridis Theseus Ultima, Kondo Overture 2i, câbles Wing, Neodio, Nodal.
Expressivité :
Vous pourrez évidemment vous demander pourquoi je bouscule l’ordre des rubriques.
Tout simplement parce que, dès le premier contact avec ces choses fantasmagoriques, l’expressivité est la caractéristique dominante indéniable (ah, si, j’oublie un facteur déterminant de la contestation : la mauvaise foi. Ou la bêtise. Ou l’ignorance. Ou la surdité… Ça fait beaucoup, à la réflexion) ; qu’importe que l’enceinte ne soit pas encore idéalement placée, les réglages pas idéaux, les câbles pas encore les meilleurs dont on dispose : la présence humaine, corporelle, exquise ou agitée, frémissante ou despotique, s’impose !
C’est une expérience peu fréquente d’écouter chanter et vibrer avec une telle implacabilité le violon d’Anne-Sophie Mutter (oui, je sais, nombreux sont ceux qui la détestent… Parce que sa suprématie lui permet de tout oser ?).
A-t-elle été aussi fondamentalement compréhensible que lorsqu’elle exalte Penderecki par l’entremise docile des Anima ?
La Follia Per Violino Solo et son intrigante introduction en pizzicati…
L’œuvre fascinante croustille dans toute sa splendeur grâce aux Anima qui portent bien leur nom. Oui, le violon est trop grand mais pas tant que ça quand on a trouvé la bonne place, le croisement relatif des enceintes. Moins artificiellement étiré que sur de nombreux panneaux électrostatiques ou à rubans que la presse adule. Grand, soit, mais cohéremment ! Et puis surtout, la densité, les crépitements du boisé, la frénésie du Stradivarius (en est-ce un ? et si oui lequel puisqu’elle en a deux, la pauvre) ne varient que par les doigts de l’artiste suprême, pas parce que l’enceinte jouerait au yoyo textural en fonction des fréquences ou de la dynamique.
Ainsi, ce qui pourrait souvent ne paraître que justification professorale devient ici un archétype poétique !
Vous connaissez notre attachement à ce paradigme pour nous fondamental : que l’instrument garde une présence, dimension, armature immuables, colonne vertébrale enracinée du grave à l’aigu jusque dans les passages subliminaux.
Or, quand la contrebasse de Roman Patkoló entre en scène pour une autre œuvre de l’hommage au compositeur polonais, le Duo concertante, cette même justesse de grain du bas en haut du spectre, cette même contenance chargée d’humanité, sculptant les deux complices dans l’espace, nous positionnent à une place incroyablement privilégiée au concert : sur la scène !
J’arrête là pour reprendre l’ordre des rubriques. Mais j’y reviendrai !
Richesse des timbres et équilibre tonal :
A l’écoute des œuvres évoquées ci-dessus, on aura pu être perturbés par l’énergie anabolisée du violon et peut-être aussi par la nécessité qu’elle engendre de changer les algorithmes de nos repères colorimétriques induits par ces surexposition des registres croqués et inscription concrète des matériaux, où, honnêtement, nous détectons çà et là, mon co-auditeur et euh… Moi ! diverses toniques, déviations possibles des teintes ou exacerbations inhabituelles.
De même, placés dans l’axe des pavillons, subira-t-on inévitablement la sensation gênante que l’instrument sort d’un porte-voix, colorations incluses. Sensation qui disparaît dès lors qu’on a beaucoup pincé (ou ouvert) les enceintes, la première solution évitant une place privilégiée dédiée à un seul auditeur. Bénéfice intégral subséquent : floraison des carnations, stabilité dans l’espace, dimensionnement, vélocité.
La palette picturale est incontestablement étendue à la réception de la transcendante lecture par le Berliner Philharmoniker et Karajan en 1967 (pressage de 1967) de la Valse Triste de Sibelius tout en étoffes lyriques déroulée dans une grande effervescence moelleuse par l’orchestre magicien…
Il y a quelque chose d’inhabituel et de grandiose, de l’ordre de l’épiphanie, dans la pulpe des textures, la sensation charnelle gourmande qui, par le réalisme que l’enceinte Tune Audio affirme, débordent les furtives errances de couleurs, gomment les imperfections des pigmentations, la matité un rien répétitive des harmoniques hautes, ainsi, sur telle ou telle note isolée, qu’une rondeur tonique ou le possible manque d’homogénéité tonale entre les trois voies, pouvant se traduire, si tout n’est pas parfaitement agencé, par d’éphémères sonorités de fond de pavillon ou résonances de cavité.
Parallèlement, l’acidité qu’on aurait pu craindre de la récente version par le Tackács Quartet du 15ème Quatuor, D.887, de Schubert est à contrario confortablement intégrée. Le galbe des matériaux si clairement burinés dans l’espace rend-il la contraction radioactive des violons moins mordante que dégradée par des systèmes plus habituels ? Probablement.
En compagnie de l’Aperio à ce moment-là qui n’est pas paresseux côté fondations, ce que l’Anima digère avec facilité.
Par conséquent, l’allégresse comme l’unité des quatre acteurs hongrois parfaitement connectés procurent un plaisir d’un haut degré, évidemment lié à ce sentiment permanent que ces artisans du bonheur nous honorent personnellement de leur compagnie.
L’ambitus est adroitement contenu par Anima : l’aigu plus robuste que brillant, plus dense que sottement libéré, équilibre un grave qui ne prétend pas être abyssal, cependant qu’il revendique de s’affirmer aussi solidement que l’acier quand la musique le veut, aussi bouillant et impérieux que le magma dès qu’un autre tableau l’exige, aussi délicat qu’une voile dans le zéphir si l’œuvre le sollicite.
Celui qui éprouvera un manque pourra à la rigueur adjoindre la voie grave additionnelle, toujours à pavillon, appelée Pulse. Mais franchement…
Oui, l’extrême grave (massif) du LP.8.2 de la galloise Kelly Lee Owens est impitoyablement tronqué ici. Mais admirablement tronqué. Sur combien d’enceintes ces quatre pistes passent-elles correctement sans devenir un lamentable potage débordant d’un écœurant agglomérat de crème grasse ?
Ici au moins, on remonte au plus près de la source émissive, l’origine du son ; le travail plutôt soigné des modulations prend alors tout son sens.
Sans parler (ah ben si, tiens, j’en parle) de la vigueur parfaitement tenue mais ô combien éclatante des impacts aussi blindés que des coups de marteau sur l’Egide, aussi fragiles que les battements de cœur du jeune Werther.
La création nouée de lentes boucles en ressurgit embellie, moins uniforme simplement parce que la richesse d’un pattern Pantone, même amoindri, les petites variations de tons, de dynamiques, de pastels, d’effets, nous placent dans la camaraderie physique que je décris depuis le début de la chronique.
La voix incarnadine de l’héroïne, très aérienne, est magnifiquement retranscrite, sans enluminures ou fioritures, au plus près du micro - nonobstant les réverbs -, devenant bien plus touchante que je n’en avais le souvenir ou l’espoir.
Nous le constatons à chaque fois que nous sommes face à des objets hors normes, au sens de réussis ou captivants – je parle des Anima - : scinder l’analyse en critères devient artificiel et difficile.
Scène sonore :
Je n’ai pas toujours été ébloui par la collaboration de Sir Simon Rattle avec le Berliner Philharmoniker alors que son plus récent travail avec le LSO ou le Bayerischen Runkfunk accumule les perles d’un collier entrepris il y a des décennies avec le City of Birmingham S.O. (j’ai en tête un merveilleux War Requiem, sa 2e de Mahler et des Symphonies de Sibelius) …
Il y a des exceptions parmi lesquelles, curieusement, j’ai plaisir à divers passages de sa Carmen ! Entre autres raisons par la vivacité et l’allant des tempos, par la volubilité et la veine complice des protagonistes - Magdalena Kožená, Carmen plus mozartienne que brûlante mais habitée de sa profondeur habituelle de sentiment et Jonas Kaufmann, un Don José certainement pas timoré – il était temps - face à l’Escamillo pourtant wagnérien de Kostas Smoriginas, de même que Genia Kühmeier, Camilla tout sauf timide - des seconds rôles qui ne déparent pas et des chœurs éminemment valeureux, déplaçant le centre de gravité de l’œuvre vers des immanences nouvelles !
Et que dire de la somptuosité de l’Orchestre – un rassemblement de solistes - étonnamment à son aise dans les extrêmes de gaieté ou de pathos vers lesquels Rattle le conduit à un rythme forcené digne de Usain Bolt ?
« Avec la garde montante nous arrivons » est un adorable instant de grâce, construit par des chœurs de gamins divins d’efficacité et d’entrain ! La scénographie simule leur avancée progressive accompagnée d’un orchestre sublime où la trompette lointaine répond aux flûtiaux naturellement plus présents dans un espace global très cohérent approchant jusqu’à conquérir notre environnement où le dialogue entre les deux officiers très virils donne le frisson par sa proximité avant le reflux très naturel de la garde descendante ! C’est proprement saisissant. Et fait oublier que, peut-être, un peu plus d’air ? Mmmh ? Pas sûr, question de perspectives inaccoutumées sans doute.
Le travail de quelques placements « d’objets sonores » dans l’album Sad Lovers and Giants de Crystal Murray, des chœurs fuligineux supérieurement lisibles, des nappes étagées, des cordes aériennes, dénotent un travail de mixage remarquablement dosé, soigné, exigeant. Un peu maigre par rapport à la moyenne actuelle – souvent surchargée de bas médium – favorisant la voix de la jeune Franco-Américaine qui s’est curieusement éraillée (pas sur toutes les pistes) depuis son premier (et jouissif) EP Twisted Bases. Hélas l’album n’est pas rythmiquement aussi inventif, et est même de ce point de vue souvent quelconque.
Toutefois, l’écoute par les Anima le rend singulièrement charmant, sans doute parce que le petit théâtre animé honore habilement une métrique asynchrone qui sort des codes d’une saoulante pop/soul, vulgaire à force de brio vocal déplacé, où le phrasé de la parisienne franco-américaine nous protège des élans lyriques totalement à côté du texte qu’on doit trop souvent subir au gré des nouveautés qui pleuvent depuis les nuages de Qobuz ou Tidal.
En outre, si le son de l’album est comprimé, celui-ci déborde d’idées d’arrangements, surpiqures de guitare funk par-ci, figures de registres de synthés sophistiqués et de bon goût par-là, percussions incongrues, espaces recréés prodigieux, sachant que l’Anima va nous charpenter tout ça, inscrivant sa calme autorité, et rendre le mixage en creux… eh bien, moins creux.
Ce type de scénographie totalement artificielle, apostements bâtis à la console, est très utile pour admirer la stabilité des plans, la conception d’ensemble de l’image 3D tout autant que, malencontreusement, des erreurs grossières.
Retour au Tackács Quartet pour bien saisir l’intérêt de ce type d’enceinte quand le travail de filtre et notamment la mise en phase sont appropriés : certes les instruments sont bodybuildés, dominants, mais au moins sont-ils raccord en mesures et tempérance comme en énergie, ne se détachant pas de leur ancrage et, bien qu’on ait connu des captations meilleures, révèlent le relief interne de chaque instrument. Il est conséquemment si facile, enfin, de… j’allais dire : « voir » … les musiciens derrière les instruments. Assumant que, oui, eux aussi sont un peu grands.
Nous retrouvons les mêmes sensations de déroulement narratif idéal, d’incarnation à l’écoute d’un tout autre type de quatuor que j’ai choisi afin de vérifier si le contrôle de l’acidité dans le précédent ne tenait pas à une simplification harmonieuse ou des montées de notes.
Le Quatuor Miró joue Home de Kevin Puts…
Je devrais réserver cette œuvre à la rubrique Expressivité tant elle est intense.
Ouverture par une mélodie dépouillée, un bourdon dont la hauteur va rapidement quitter la tonalité, dériver vers une rythmique implacable rompue de glissandi ébouriffants et de défragmentations de la ligne principale. Le travail harmonique – qui ne craint pas le glaçant - et dynamique nerveux est parfois si déconcertant que la performance en devient probablement ardue, entre tendresse et légèreté ou menace et inquiétude…
La captation, nettement plus globale et chaude que celle du Tackács Quartet, dont le moelleux est clairement marqué par l’Anima, sollicitée par le Kondo Overture 2i, amène à une souplesse ronflant d’un boisé subtil du violoncelle abondamment sollicité, sa gamme mélodique bornant des fondations complexes… L’aplomb des musiciens est confirmé avec cette nouvelle performance retranscrite par les impavides Anima.
Réalisme des détails :
Et que peut bien pourvoir Serge Gainsbourg avec un tel système ?
Le Pacha, Requiem pour un C. (c’est écrit comme ça, qu’y puis-je ?), un pressage d’ailleurs pas génial, compilation de 1979.
Si on détecte que la voix du Grand Serge bourdonne insensiblement parfois, quel bonheur d’écouter telle perle à travers de tels engins.
Les frappes de paumes et doigts sur les peaux des congas dont les résonances tournent en diaprures bigarrées, le toucher d’un batteur (Jacky Rault ?) dont le riff rythmique implacable est impérissable, le phrasé piqué des guitares et basse ou bien sûr l’organe très typée de notre Serge national énonçant une mélodie qui évoque la Symphonie du Nouveau Monde, tout est magnifié par ce trait forci, affuté mais soyeux que pilonne la grande enceinte.
L’agrandissement cinématographique si beau, si « juste », si intime, surnaturel, propulse la chanson vers une dimension « extra-ordinaire », adoubée par un swing d’anthologie, où l’écriture rythmique tient du match de foot administrant des échanges de balle d’une maestria diabolique, imbibant de volutes sorcières un must inévitable de la musique pop…
Quant au furieux déferlement des grands malades d’Animals as Leaders dans Joy of Motions, il est l’occasion de constater la capacité résolvante de la grande enceinte aussi bien à même – et sans la moindre dureté ou agacerie - de débobiner la pelote de notes en pagailles hérissée de Jump Scares périlleux dans de longues séquences époustouflantes, ordonnancées et maitrisées par ces surhommes, pourtant déversées en quantité telle que, en comparaison, l’Archinto confus de Baselitz devient une carte routière pour le jeu 1000 Bornes, que d’illustrer le flegme du patron Tosin Abasi dans ses envolées hallucinantes d’un lyrisme sidéral.
Salves fougueuses en règle par le colosse Matt Garstka, déflagrations massives sur ses huit cordes par Javier Jeyes aussi détendu que le boss.
Ces mecs sont incroyables, maîtres absolus qui devraient faire pâlir les Guitar Heroes des concours « Johnny Milliard de Notes », à la grande différence près que la musique du trio est fondée sur une inventivité rythmique drastique, et, surtout, elle n’est pas démonstrative à la Satriani, car évidemment procréée d’un groupe parturient, un collectif concepteur fusionnel, exprimant par l’infini éventail de gammes d’accords, de figures acrobatiques qui enfantent autant de nœuds de combustion dans le cerveau, d’échelles harmoniques et fatras d’expressions, une intention, un schéma de pensée, un édifice musical éminemment intense !
Métal progressif, connoté Djent ?
Quelle est la relation entre Animals as Leaders et SikTh par exemple ??? La complexité instrumentale du mathcore ? Mouais. Dans un cas (SikTh), elle donne l’impression d’une bande d’excités (incontestablement doués) directement connectés au Triphasé après avoir dénudé tous les câbles électriques à force de s’acharner sur leurs instruments, quand les accords florissants et si intelligemment agencés de la bande « à Abasi » relèvent tout autant du be-bop, d’un blues alambiqué, du rejet de la stochastique, ou tout simplement d’une architecture contemporaine sans équivalent car si d’autres suivent cette veine, précisément, ils sont suiveurs. Parfois adroits. Alors qui ? Terms par l’album All Becomes Indinstict, fragmentaire et diversifié ? Ouais, c’est pas mal. Mais Anima nous raconte sans hésiter que, cruellement, on n’est pas dans le même district. Quand les uns sont besogneux, les autres voguent hors sol, vacataire d’un panthéon d’Euterpe.
On ne parlera pas de limpidité cristalline, ou d’une résolution de Nikon pour expliquer le sens corporel de la lisibilité des Anima qui choisissent la matérialisation de tout objet sonore dans l’espace plutôt que l’affinage du trait sur un beau tirage.
Hasselblad argentique donc ?
Ça me va.
Qualité du swing, de la vitalité, de la dynamique :
Un petit délassement pas vraiment sérieux mais plutôt spectaculaire d’un disque de démonstration par deux cerbères du jazz : Rich versus Roach en 1959, pressage Mercury…
Curieux mixage où chaque batteur et son jazz band sont reproduits par un canal… Bonté divine, qu’est-ce que ça joue ! Les sourires de ces individus atemporels illuminent une férocité de crocs hilares et voraces plus carnassiers que les dinosaures amoncelés dans les plus ambitieux musées paléontologiques, Jurassic Park inclus.
Le cabotinage penche clairement du côté de Buddy Rich, quand même pas très subtil à vouloir prouver sa supériorité face à Max Roach plus en recherche de phrasé, de toucher, de ruptures qui à terme vont le sacraliser au paradis des inventeurs où le champion blanc (très bronzé sur la pochette) va s’enfermer dans la performance futile ; conflit (amical ? le doute est permis) d’aptitudes superlatives dont la tournure est plus évidente via les Anima que des enceintes traditionnelles, même haut de gamme, par l’intensité fractionnée des stars dont la rivalité se traduit jusque dans les performances de leur groupe respectif : alors que rien n’est dans l’ombre (ces bateleurs ne la cherchent pas), aucune dureté, grincement ou projection ne vient ternir le bonheur de cette vitalité pure, montée sur ressorts et dopée à la Créatine.
Autre type de fantaisie la même année (presque : 1958) : Stupid Cupid par Connie Francis ! Oui, bon, c’est pas vraiment intellectuel, mais l’Anima donne décidément envie de ces petits plaisirs bondissants, allègres, parenthèses de joie de vivre communicative ! Elle y excelle d’autant plus que la captation ramène à une grande époque de la reproduction à pavillon comme dans un écosystème idéal et tant pis pour l’étroitesse du spectre ou la dynamique enregistrée.
Le pianiste Roberto Negro a commis récemment un exercice stylistique alambiqué, parfois un peu cérébral (ah !), en compagnie de l’Ensemble Intercontemporain.
Ensemble Intercontemporain et cérébral, c’est un contresens dites-vous ? Ah bon…
Pour autant, le jeu entre un trio (Nicolas Crosse à la contrebasse, Michele Rabbia aux percussions et donc Roberto Negro) et cet ensemble allaité aux incongruités de Boulez crée une sorte de choc des cultures captivant. Ça s’appelle Newborn et c’est aussi le titre du premier morceau.
Je ne suis pas charmé par l’intégralité de l’œuvre. Notamment les robustes éclats où la totalité des musiciens se rejoignent en climax. Pourtant, de nombreux moments sont absolument fous, passionnants, décortiquant parfois les potentialités de divers instruments en les poussant dans des domaines d’expression qui ne sont pas « naturellement » les leurs, le cor, la contrebasse, le violoncelle etc. Et ce heurt entre des musiciens dont les origines divergent génère un curieux hiatus de swings vigoureusement scénarisé par Anima et sa disposition inexorable à nous rapprocher des musiciens, des noyaux des notes et frémissements, des moindres variations d’appui, de souffle ou de phrasé…
Ah oui, il s’agit d’expressivité.
La dynamique ? On se doutera facilement que c’est un point fort puisque je ne cesse de décrire la capacité typique de ce type d’enceintes quand elles sont bien conçues à entretenir une intransigeance herculéenne même dans les instants les plus faibles du signal. Les forte allant de soi avec des monstres dont le rendement dépasse les 100 dB dont une voix médium couvrant un ambitus essentiel.
Rien à craindre donc des assauts horrifiques de la 2e Symphonie de Prokofiev y compris dans la captation un peu aigre et abrasive, chauffée à blanc au cœur des fournaises de fonderie industrielle de Guennadi Rojdestvenski à la tête de l’Orchestre Symphonique de la Radio de l’U.R.S.S (Melodia (1962 ?) vinyle, excellent pressage Chant du Monde) ou plus ample mais moins incandescente ou griffue d’Andrew Litton dirigeant Le Philharmonique de Bergen dont la dynamique est évidemment plus James Cameron, homogène et maitrisée.
La sauvagerie de la version russe est éprouvante nerveusement, par sa tension dramatique qui tourne au film d’effroi en Noir et Blanc, expressionniste hyper contrasté aiguisé par les prises de son soviétiques de l’époque où les micros étaient conçus par des fabricants de sabres.
En passant à Litton, la Symphonie de Feu et d’Acier tourne à la danse de salon ; j’exagère à peine : la munificence orchestrale d’une version très occidentale transforme l’œuvre en poème symphonique, voire en pantomime façon Petrushka.
L’intérêt de deux propositions aussi éloignées que possible est pour ce test de montrer à quel point les Anima, aptes à différentier fondamentalement les deux approches artistiques ou sonores, ne balancent vers aucun excès, que ce soit dans l’aciérie gore de la première où – oui je me répète – la capacité à poster les matières instrumentales jugulent les jets nucléaires, ou dans la beauté roborative de la deuxième au cœur de laquelle les habiles croisements harmoniques alambiqués des pupitres, superbement agencés par le chef américain, étalent une vraisemblance des proportions d’un naturel peu fréquent, dont le « redimensionnement » est cette fois bénéfique cependant que les petites toniques ou coquetteries sont totalement digérées par le foisonnement expansif.
Expressivité :
Certains considèrent – paillardement - que la vraie qualité de la pianiste Yuja Wang tient à ses choix vestimentaires affriolants. C’est à la fois honteusement outrageant et incomparablement moins respectueux que ses interprétations de pièces d’origines très diverses dans le Récital de Vienne. Albéniz, Scriabin, Beethoven, Glass, Márques, Brahms, Gluck, Ligeti et Kapustin. Déjà, c’est un programme costaud. L’interprète aux robes seyantes semble apprécier ce genre de défi marathonien… Et les réussit ! Ecoutez donc le Récital de Berlin, entre toucher plumeux et majesté orchestrale,
L’ensemble est admirable – sauf à être un barbon -, ET affriolant !
D’abord par la précision technique, la fougue mathématique et l’imagination inextinguible de l’ardente chinoise, diaprées d’un élan chthonien qui rappelle et surclasse la flamboyance d’Argerich jeune.
Dieu, que la distance d’expression entre Yuja Wang et Lang Lang est astronomique.
Soit : la Sonate de Scriabin manque d’un soupçon de « profondeur dramatique » tout en opposant une séduisante verve texturale et une articulation rythmique qui fondent une interprétation à part entière, limite extatique.
Soit : la concurrence dans la 3e Sonate de l’Opus 31 de Beethoven est telle qu’on pourra davantage apprécier des contrastes moins sanglants, des syncopes moins jusqu’au-boutistes, des sforzando moins jubilatoires. D’un autre côté, Carl Czerny, élève de Ludwig Van célèbre pour le morceau de bravoure que sont ses Etudes, parlait à propos du 4e mouvement d’un « morceau destiné à la Chasse » …
Personnellement, ce débordement d’enthousiasme, de plaisir juvénile intempérant qui ne se relâche jamais et ne manque ni d’ampleur – non pléthorique - ni de générosité, me séduit abondamment.
Qu’importe ce que l’on attend de Scriabin ou Beethoven, Anima nous administre la preuve sans appel que la dame est rigoureusement incontestable pour Kapustin, Glass (bousculé et jeté dans la fosse du contemporain comme rarement) et surtout les Etudes de Ligeti où elle brode sans doute une référence par sa perfection technique tyrannique, sa rapidité et sa rigueur de métronome qui – par l’intercession des Anima – fourbit les prouesses virtuoses cossues (et l’éperonnage de glaçantes notes aigües) d’une force d’humanité inexpugnable, comme si trop souvent les Etudes avaient été « traduites » d’une langue étrangère mot à mot, dictionnaire en main, tandis que la vocalité de Yuja Wang surpasse même le flot ininterrompu narré par un exégète d’une culture supérieure pour tout simplement revenir à l’inimitable langue originelle.
Les linguistes me comprendront…
J’aurais pu d’ailleurs utiliser la même image pour raconter l’aperception du brûlot démoniaque d’Animals as Leaders nous ayant éreintés précédemment.
Ah, puisque ce banc d’essai semble axé sur la virtuosité, il m’a donné envie de remettre une petite couche de Mutter (Anne-So), dans une œuvre dont elle est aussi dédicataire : in Tempus Praesens de Sofiä Ğobäydullinä, LSO, Valery Gergiev
Pas joyeux joyeux et pourtant réellement envoûtant, balayant la crainte que deux tempéraments aussi forts (Mutter et Gergiev) n’enflamment l’œuvre en brasiers antagonistes.
Non : les alternances entre turbulences et contemplation, enfer et paradis, suivent scrupuleusement les évolutions permanentes d’un violon divinement inspiré, de pleur ou d’aplomb, sans jamais le submerger (mouais, on parle quand même d’ASM, pas exactement une biche effarouchée) y compris dans les répétitions périodiques martelées avec emphase dans un crescendo culminant saisissant (vers la 18e minute, autre affectation dynamique) d’une œuvre sincèrement bouleversante quand l’Anima en transcende tou(te)s les nuances, alunages, impacts et flux angéliques…
Il est temps, je suppose de quitter la phosphorescence d’un feu grégeois pour des braises d’une ardeur plus contenue, plus intérieure, qui sied tout autant à l’Anima :
En 2017 Alexandre Tharaud a réuni un panel d’artistes très varié (Michel Portal, Roland Romanelli (il a quel âge ?), Juliette Binoche, Juliette (pas Binoche), Jean-Louis Aubert, Camélia Jordana, j’arrête, la liste est longue pour un hommage à Barbara, via des arrangements divers, pas toujours chantés.
Il faut reconnaître que la plupart des reprises sont extrêmement sensibles, habiles détournements par des acteurs transportés. Je pense en particulier à Cet Enfant-là par Dominique A où cet homme devient Barbara, et plus encore à Septembre par Camélia Jordana, personnalité ô combien attachante qui, de mon point de vue, pourrait aller si loin musicalement si elle ne privilégiait pas ses revendications – compréhensibles et louables - face aux audaces de composition et arrangement dont elle est capable.
Camélia Jordana s’approprie avec déférence une chanson qui n’est pas des plus faciles.
Par le truchement du gros système du moment, l’intimité devient presque gênante, tant l’incarnation de la chanteuse, sa sincérité traduite en vibratos exquis, en glissements de déhanchements, en intonations magnifiques et prosodie supérieure ou authenticité sans filtre, sont concrétisées, n’ayant pas osé dire : palpables. Et c’est bouleversant.
Le contraste avec la piste suivante, Mes Hommes par Juliette (Nourredine), est radical : Camélia tout en cœur vs l’égérie Télérama bloquée en posture mémère à la Lucienne Delyle - sans le velours d’icelle - fracasse la ringardise sur la falaise inaccessible du vécu, fût-il essentiellement abstrait… Quel troublant retour en arrière pour moi de réécouter Roland Romanelli de qui je garde des souvenirs émus, autant sa générosité vampirique que son exubérance fantasque, alors même qu’il draguait ouvertement ma copine.
Vanessa Paradis se sort très joliment, aisément, d’une mélodie acrobatique qui ne l’effraye pas outre mesure… Du Bout des Lèvres. J’apprécie la subtilité du choix.
Idée d’adaptation malicieuse pour Au Bois de Saint Amand où la justesse de Rokia Traoré souffre quand même face au défi.
Ça suffit… Un disque à goûter voluptueusement, de préférence en utilisant les Anima qui en outre implanteront dans votre salon un piano aussi imposant que délicieux tant la captation en est superlative et le jeu de Tharaud… Barbaresque ? Ah ben non, c’est un barbarisme… Barbarien ? En tout cas pénétrant, avisé.
Indubitablement, parmi les multitudes d’enceintes que j’ai pu écouter depuis des décennies et a fortiori parmi celles qu’on a testées, y compris les plus prestigieuses, il en est très peu qui peuvent, aussi formellement que les Anima de Tune Audio, établir ce que nous attendons de l’expressivité en hifi.
Plaisir subjectif :
Majoritairement, les hifistes ne comprendront pas ce type de restitution plus vraie que nature, chercheront les défauts et évidemment en trouveront quelques-uns car tout ce qui a du caractère, de la personnalité, s’expose plus que le politiquement correct ou le profil bas.
Tant pis pour eux : place aux mélomanes qui, de la même façon, ne devront pas se concentrer sur deux ou trois critères anecdotiques mais prendre en compte les dimensions, les excès et les imperfections du concert, du concret, de l’authenticité.
Rapport Qualité/Prix :
Je crois que tout a été dit à ce propos. Sauf un point essentiel : cette enceinte à part peut très bien fonctionner avec un appareil bien ciblé et pas forcément fou côté prix, tel un Tsakiridis Theseus Ultima ou encore un Trafomatic. Bien sûr elles méritent le meilleur, mais pas des amplis bavant de watts inutiles obtenus par des quintaux de rien…