à l’oreille





ARNE Engström 2

Engström Arne

par LeBeauSon - janvier 2020 


Le premier mot qui vient à l’esprit c’est luminosité. Une luminosité accompagnée de minutie et sensibilité liées à une rapidité sidérante. Le deuxième mot est raffinement.

 

PERCEPTION D’ENSEMBLE

Raffinement, des formes, des matériaux, mais avant tout de la musique.

Méticulosité, impatience et énergie frissonnante…
Je ne reviens pas moi-même de tant de beauté au point que je me suis posé la question de me faire piéger par un éclairage possiblement un peu faussé pour être parfois complètement saisi par la sensation exactement contraire d'une acuité par la matière et la texture, crue, unique, bouleversante d’authenticité !

La petite réserve émise sur la gestion du soutien dans l’extrême grave ne remet en rien en question la superlative capacité à révéler l’humanité, la volubilité et le serment des musiciens, dans un naturel d’anthologie et une sensibilité de tous les instants, des plus doux aux plus cinglés…

DIAMs 5 OR

 

Ma rencontre avec les amplificateurs Engström remonte à pas loin d’une dizaine d’années ; j’avais pu écouter les blocs mono Lars dans un cadre privilégié, branchés derrière un préampli Art Audio Conductor et sur des grandes enceintes à pavillons.

Ensgtröm, Lars… Oui, c’est suédois !

J’avais été séduit, autant par la beauté des objets, aluminium et verre, le raffinement que l’on devinait derrière chaque détail de la fabrication que par la sérénité de l’ouverture musicale, une légèreté permanente sans la moindre concession à l’indolence, l’évanescence ou la paresse hélas si caractéristiques de bon nombre d’amplis à tubes.

Aussi, la relation avec le sympathique Timo, l’un des deux créateurs (avec son oncle ?, Lars), a toujours été empreinte de cordialité directe, et chaque écoute d’un appareil de la marque à Munich marquée d’un grand intérêt. Par conséquent, lorsqu’un jour Timo m’annonce que la distribution en France est confiée à quelqu’un que nous connaissons et apprécions, je me dis chic chic, d’autant que, en même temps, Ensgtröm présente un intégré presque abordable

Enfin abordable… 30 k€ sans les options… Un qualificatif indécent, indubitablement, sauf à se souvenir que les prix de la haute-fidélité ultra haut-de-gamme peuvent avoisiner ceux d’un appartement pour des qualités musicales parfois douteuses… Vous me direz, les qualités musicales d’un appartement…

 

ARNE Engström 5

 

 

D’emblée,
l’objet a de l’allure

 

Nous allons donc vous raconter et décortiquer notre aventure musicale en compagnie du premier intégré de la marque Engström : Le Arne

Un intégré affichant une puissance suffisante comme on disait chez Rolls Royce à une époque pas si lointaine : 20 W ; en Classe A, Push-Pull utilisant la célèbre triode 300B ; célèbre pour les audiophiles, soit. Pour la plupart de nos contemporains, ça ne signifie rien. Alors sachez que c’est un type de tube dit « mythique ». En cela qu’il est souvent considéré avec un trémolo dans la voix comme une des quelques lampes permettant les montages les plus musicalement beaux ou émouvants jamais réalisés. Mouais… Pas toujours et loin s’en faut : leur beauté sonore est souvent factice et accompagnée de nombreux manques ou aberrations.

 

Vous l’aurez compris, à la rédaction de « LeBeauSon », on ne fait pas de courbettes devant les réalisations 300B. Faut dire qu’on fait rarement des courbettes. Ça fait mal au dos.                                                                                             

Sur le modèle que nous avons en essais, les 300B sont des Emission Lab. Proposées en option un peu coûteuse (bah…) mais qui bénéficient d’un temps record de garantie pour des tubes : 2 ans… Et bien sûr, théoriquement une richesse musicale supérieure à des 300B de base.

 

D’emblée, l’objet a de l’allure. Heureusement parce que c’est quand même une bête volumineuse, affichant 40 kgs, à l’heure où le marché propose des appareils qui ressemblent à des chauffe-plats, pèsent 5 kg et développent des kilowatts.

Là, c’est le contraire : 20 W pour 40 kgs, 500 x 420 x320 pour les dimensions.

 

Arne s’impose par une ligne aristocratique, galbes souples de l’épais châssis alu et magnifique protection des tubes en verre courbé particulièrement bien dessinée ; l’effet du châssis bitonal de notre modèle d’essai, partie basse laquée et arrière peinte couleur alu, renforce la qualité perçue. Jusqu’au dos de l‘appareil qui bénéficie de sa petite dose d’attention, plaque nominative, indications diverses.

 

cet appareil
est de la race
des Seigneurs !

 

Le raffinement visuel n’étonne pas quand on connaît les exigences de la marque, objets superbes, site élégant et petites brochures distribuées à Munich absolument exquises.

La manipulation du large bouton de volume n’est ni vraiment aisée ni agréable (sensation de crans un peu flous) mais la jolie télécommande en aluminium qui accompagne l’intégré contourne cette petite faille de sensation.

Côté technique, le Arne est développé selon un schéma entièrement symétrique et par conséquent propose deux entrées symétriques et deux autres asymétriques.

Pas de choix d’impédance de sortie en revanche, elle est de 5 ohms.

C’est du chinois ? Oui, cher lecteur non coutumier du désolant verbiage technique de la hifi, désolé… On détaillera tous ces termes à la longue. Rassurez-vous, quand on écoute la musique, on se moque un peu de tout ça. Et puis votre revendeur vous expliquera ce que vous avez besoin de savoir.

L’appareil que nous avons essayé n’est pas encore parfaitement rodé (nous l’avons eu entre les mains avant tout le monde et avons simplement tardé à publier notre prose. Ça s’appelle de la politique), même si nous l’avons fait tourner une dizaine de jours avant de vraiment nous concentrer sur le test en lui-même, une dizaine de jours où s’installaient progressivement une noble douceur et un naturel qui levaient tout doute : cet appareil est de la race des Seigneurs !

 

Quelques précisions utiles avant d’entrer dans le vif du sujet.

  • Un intégré à base de 300B, même en Push-Pull de 20 W et en Classe A, n’a pas vocation à l’universalité. Je ne parle pas de son rapport à la musique, mais à l’environnement dans lequel il devra s’exprimer : si vous l’employez pour alimenter des enceintes étouffoirs utilisant des haut-parleurs lourdauds ou des filtres aussi limpides que des œuvres de Zokatos Uhu, (aucun doute sur le talent de ce garçon, de là à lui demander de concevoir des filtres…), vous serez possiblement déçu.

Ceci étant, un étouffoir est un étouffoir et pour profiter de l’admirable méticulosité du Arne, ça ne le fera pas de toute façon.

 

  • Toutefois, nous avons constaté que le Arne ne déteste pas, pour s’exprimer pleinement, des enceintes qui le sollicitent un tant soit peu. Ainsi, le résultat est-il aussi surprenant sur des enceintes de type Living Voice ou Mulidine Harmonie V3 (pas gourmandes mais quand même d’impédance basse) que sur une autre de rendement élevé et n’exigeant aucun effort de l’amplificateur (Ada de ppfff).

                    

La majeure partie des essais a été menée sur Ada & Ava de ppfff, cette dernière embarquant 2 x 38 cm, légers et rapides soit, mais 2 x 38 cm quand même, donc pas la plus simple à tenir. Certes, cette enceinte est tout sauf un étouffoir : au contraire, elle se fait un devoir d’être réactive, spontanée et dynamique…

Les essais ont été élargis sur des Davis Nikita que nous avons en test, des Mulidine Harmonie V3 et donc des Living Voice IBX/R3.

  • pour continuer sur l’environnement d’expression du Arne, on entre quand même, avec un bestiau de ce type, de plein pied dans le très haut-de-gamme. Donc et naturellement cet appareil révélera le meilleur de lui-même dans un biotope soigné, gage de sa maestria et sa capacité à chanter.

 

 

Ainsi est-il sensible à la qualité du câble secteur, et il ne faut pas se tromper sur le sujet si on veut magnifier ce beau bébé qui le mérite grandement.

Les essais ont été menés avec une hiérarchie de bonheur variable via des câbles Absolue Créations (Tim-Ref en modulation et HP, Versailles et Tim-Signature en secteur), Wing Audio, Neodio ou encore Nodal Audio Harmonie en secteur.

Liste non exhaustive, bien sûr. Et en ayant bien en mémoire que ce n’est pas le câble qui crée les qualités de l’appareil : il évite de les disperser ou les bouloter…

Une fois ces précautions évoquées, il est temps d’embarquer pour un banc d’essai d’exception !

 

 

ARNE Engström 3

 

RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL

 

Le premier mot
qui vient à l’esprit
c’est luminosité

 

Une luminosité accompagnée de minutie et sensibilité liées à une rapidité sidérante.

Oh, attention, il ne s’agit pas d’un éclaircissement systématique, une brillance persistante, mais d’une élocution scrupuleuse qui embrase un discernement particulièrement sensible et enjoué des myriades de pigmentations et complexités stylistiques de la musique. Une espèce d’impatience et d’énergie frissonnante difficiles à décrire mais si flagrantes à ressentir…

 

Avec Arne, les timbres sont pleins, charpentés, incarnés parce qu’ils s’insèrent dans un cocktail d’aptitudes qui mènent au réalisme… Ah, je m’emballe, je m’emballe, mais lorsqu’un appareil passe le cap du son pour arriver à la musique, découper le décibel en quatre ou douze, ou cinq mille deux cent cinquante et un, n’a d’autre justification que d’essayer d’expliquer le sens du divin.

 

Le deuxième mot est raffinement.

Le Mandarin Merveilleux par Antal Dorati et l’Orchestre Symphonique de la BBC en 1964 est édifiant ! Tornades d’efflorescences bigarrées, clairement servies par la diversification en relief des matières qui laisse pantois, spécificité encore plus flagrante sur les pianissimi où la densité invariante champlève dans l’espace des instruments ou des groupes d’instruments d’une véracité irréfutable. Les cuivres sanglants rugissent, les violons tourbillonnants étincellent dans ce qui pourtant engendre une sorte de volupté contradictoire, feu d’artifice menant à l’étourdissement…

Et si ce Mandarin dans la version Mercury (Dorati le réenregistrera pour Decca en 85) revêt toute la sauvagerie, le tourment exposés sans aucune retenue par un orchestre effréné, que ce soit dans les passages mystérieux comme ceux d’une brutalité acerbe, la barbarie grâce au Arne n’est jamais épuisante pour les oreilles alors qu’elle peut l’être pour les nerfs malmenés jusqu’au bout de l’âpreté !

On s’aperçoit au moment du dernier souffle du Mandarin supplicié, succombant après avoir connu la félicité, qu’on a retenu le sien dès les premières notes ! Une apnée de 29 mns…

Sur le piano de Nino Gvetadze, la main gauche est fournie, consistante et sans trainage, procurant à l’instrument et à l’interprète (remarquable programme de Préludes de Chopin) une autorité affirmée, une dimension et une masse plausibles ! Les couleurs du piano, à la fois diaprées et florissantes, articulent idéalement le romantisme retenu d’une interprétation qui favorise l’opulence ! Les notes ont du poids, du corps, de l’intensité parfois brûlante.

Violon maintenant ? La Folia de Penderecki transcendée par Anne-Sophie Mutter sur les Ada est un festival de rebonds et coquetteries toujours sous contrôle, d’une part de la violoniste sans rivale tant le geste est sûr, la justesse sans l’ombre d’un trémolo, d’autre part du Arne qui rend une totale justice à une œuvre où les clins d’œil se baladent de Bach à Prokofiev avec une liberté revigorante…

 

Dans le grimaçant « Concerto pour violon » de Ligeti par Kopatchinskaja et Eötvos, joie, liberté, vivacité et espièglerie triomphent ; les timbres et substances chatoient dans une perfection palpable rendue possible par une tension des attaques soutenue, aux antipodes des épanchements racoleurs marivaudés par de trop nombreux amplis à tubes. Le grain de la table du violon est un régal pour les sens et l’épiderme dans l’épanchement malicieux de la demoiselle aux pieds nus, notamment lorsqu’elle caracole dans la cadence.

Autre exemple de la diversité d’ambiance : le beau voyage de Duas Vozes d’Egberto Gismonti et Nana Vasconcelos (1984/ECM) fait découvrir une palette quasi infinie de pastels. L’épanouissement des dégradés de teintes impressionnistes est tout simplement enivrant, sans parler de la vocalité en apesanteur des deux musiciens (Fogueira est de la pure sorcellerie divine (oui, je sais, c’est un non-sens)).

Ainsi en quelques disques constate-t-on que le Arne peut aussi bien retentir en éclats bariolées qu’effleurer en touches infimes d’aquarelles au gré de la performance artistique uniquement…

 

Allez, une petite réserve ?

L'image tonale est peut-être un peu retenue sur les premières octaves, énergie timide dans l’infra, surtout en comparaison avec à notre intégré jalon. La densité générale est dès lors plus athlétique que musclée, mais pourtant sur des nappes de violoncelles ou des charges de percussions, ce n'est pas sûr du tout.

Au contraire, la plénitude est ininterrompue et les impacts foudroyants !

La limite de l’assise pourra apparaitre sous forme d’un léger manque de tenue sur les 2 x 38 cm de nos enceintes repères, mais seulement identifiable sur de la musique accablante (pour le système), tel Eraser de Nine Inch Nails, c'est dire !

On pourrait estimer que l’équilibre tonal est dégraissé, mais ce n’est pas tout à fait ça non plus, plus de l’ordre d’un léger laisser-aller, un manque d’assurance et de charpente sur des notes continues très basses.

 

Sur une autre enceinte, d’impédance élevée (11 ohms), ce phénomène s’accentue et l’appareil se désunit légèrement. C’est très beau néanmoins.

Attention en effet : même sur Nine Inch Nails dans les conditions expliquées précédemment, c’est une perception un peu inhabituelle, mais expressivement très supérieure à la quasi-totalité de ce que nous connaissons.

D’ailleurs sur l’enceinte Harmonie V3 ++ de Mulidine, qui est déjà un beau bébé, le phénomène ne se constate pas pour au contraire affirmer un délié supérieur dans un jeu de timbres mémorable dans le bas du spectre… Sans parler bien sûr de la beauté racée de l’ensemble : une bien belle association…

 

Bravo :

 

TIMBRES

DIAMs 6 OR

 

EQUILIBRE TONAL

DIAMs 5 OR

 

 

 

SCÈNE SONORE

Naturellement large, parfois même extravertie (sur les Nikita de Davis), profonde, solide, la scène sidère dans l’Allegretto Pizzicato du 4ème Quatuor de Bartók (tiens, encore ?) sous les doigts endiablés du Heath Quartet.

Par le placement des musiciens dans la pièce bien sûr mais plus encore par la consistance et justesse des bois et boisés des différents solistes, par la vibration des matériaux dans un dimensionnement relatif d’une rare (pour l’instant quasi-unique) véracité. Et sur les notes les plus ténues, la densité de chacun des instruments ne varie pas d’un iota, conserve une énergie et une substance visuelle qui construisent une scène d’une solidité de statue et énergie du vivant.

 

Mieux,
l’air est parfumé de bois,
vernis, colophane
tant la texture physique
est patente

 

La ballade à la découverte de l’instrumentation consciencieusement élaborée du Mandarin Merveilleux est un régal : isoler les protagonistes, figurés par la clarinette, un quatuor à cordes et les cuivres (place majeure aux trombones) se fait au gré du désir, sans aucun doute sur la perspective et l’emplacement de chacun. Quelques notes de piano surgissant çà et là provoquent un frisson délicieux dans cette pantomime errant entre impressionnisme et expressionisme, surtout dans cette version de Dorati.

 

En poussant beaucoup le volume sur le même opus et sur une enceinte exigeante, on pourra parfois ressentir un petit resserrement de la scène dans le haut du spectre, mais sans la moindre projection ou distorsion toutefois. Pour le reste, l’enchaînement dans l’espace de pleins et déliés abondants et solides est absolument féerique, hyper tendu mais huilé, d'un foisonnement d'informations en tout genre très supérieur à la moyenne haute, les modulations sublimes, même les plus ardues ou empêtrées, coulent comme un ruisseau de montagne, lien continu des évènements, une existence constante avec des fins de note qui semblent se prolonger au-delà du disque.

Duas Vozes est un exercice tout aussi intéressant car derrière le placement fixe de la guitare de Gismonti, le mouvement permanent de Vasconcelos parcourant son éventail de percussions ajoute à l’ivresse moelleuse, nous installe dans une quiétude apaisante, imprègne littéralement la peau, les sens, l’âme.

Les effets de mixage sur Eraser, où l’arrivée fracassante de la batterie saisit autant par sa patate que par les prolongements des vibrations de peaux pour être ensuite repositionnée subtilement (!) lors de l’ascension des couches successives harmoniques et rythmiques (la petite guitare funk est remarquable de grain), sont parfaitement intégrés et fixes dans l’espace nonobstant un panachage d’une grande complexité, imposant la théâtralité idéale du délire vertigineux vomi par le grand Trent.

Les facéties parfois austères de Juana Molina (Lentissimo Halo) posent une scénographie troublante de vérité et de présence, sur les Ada cette fois. Je n’ai pas le souvenir d’avoir entendu autant de variations internes dans la faconde en apparence toute simple de la dame argentine et les nappes modulées qui fondent un monde si baroque, onctueux et grave. Sauf sur un autre intégré exceptionnel à tubes. Là encore, Arne propose un voyage dans l’espace et le temps particulièrement envoutant.

Notons au passage que, sur les Ada, la respiration de la scène est hors norme, beaucoup d’air autour des musiciens, totale disparition des enceintes, et pourtant la focalisation des évènements sonores est inflexible.

DIAMs 5 OR

 

 

 

ARNE Engström 8

 

RÉALISME DES DÉTAILS

 

Allez zou
on frôle le Nirvana !

A l'écoute de l'album « Is This Desire » de PJ Harvey, et spécialement "No girl so sweet", l'extérieur goudronneux du mixage est parfaitement respecté mais établit une description des ombres sans précédent !
La façon dont s'amalgament les couches, progressivement, créant une masse épaisse et poisseuse, est non seulement plus distincte que d'habitude, mais le modelé charnel anime une poésie rare d'une grande sensibilité dans la fièvre…

 

Le morceau final, éponyme de l’album, révèle la vocalité tout en nuance de cette immense artiste, et l’atmosphère mystérieuse exhale une incarnation pour le moins incandescente. L’engagement artistique en devient bouleversant.

La méticulosité prodigieuse du Arne est totalement au service de l’expression et des êtres derrière la musique. Ainsi, le Arne rend Eraser de Nine Inch Nails comme « Is This Desire » de PJ Harvey, opus pourtant rugueux, profondément humains, accentuant la douleur et les introspections habitées par des artistes plus immenses que jamais.

 

Car, avec le bon câble secteur (Eraser a servi pour les comparaisons), l’abondance que le Arne peut déployer semble sans limite !

Oui, même sur de l’indus-métal façon Nine Inch Nails : le fourmillement de diamants dans les lumières crépusculaires sculpte l’énigme d’une souffrance abyssale, une plongée intérieure entre colère pyrotechnique et dérangeante intimité, avec un respect luxuriant dans l’espace-temps des dégradés de tempos qui impose au plus profond de soi une appréhension unique des ruptures rythmiques et empilements créatifs débroussaillant ce qui souvent peut sembler un vaste foutoir, mais est en réalité parfaitement maîtrisé par le patron Trent Reznor.

Dans la phase d’explosion désespérée du tourment d’Eraser, Arne ne perd jamais le fil ; ainsi, quand la voix hurlant « kill me ! » s’évanouit graduellement dans le chaos, elle reste aussi perceptible que les assauts de guitare acides et les harcèlements rythmiques bastonnés à grand renfort d’amoncellements corrosifs dans un déferlement d’uppercuts diaboliquement énergiques.

                                                                                          

C’est absolument incroyable que des opus aussi physiquement impliquants, aussi offensifs, puissent passer sans la moindre perte d’intelligibilité ni la plus insignifiante trahison du panache organique via un paradoxal raffinement sensible qui est le fil conducteur de ce test.

 

Au passage, je me rends compte que l’après-midi était à la détente : PJ Harvey dans une période un peu sombre de sa vie, Nine Inch Nails à l’époque de The Downward Spiral qui parle de mort, suicide, supplice à l’état pur, le Mandarin Merveilleux et son cortège de strangulation, étouffement et coups de poignards ! Quelle joie de vivre !

Changement total de registre pour un constat identique sur Duas VozesArne décrypte les arcanes jusque dans les zones les plus lointaines de cette flânerie onirique qui contribue – au sein de l’harmonie parfaite entre les deux thaumaturges - à nous laisser voguer en apesanteur emplie d’images lointaines et de silences hantés, continuant à nous transporter, transcendés, bien au-delà de la dernière note. C’est envoûtant, d’un naturel exquis…

« I love you » et « Goodbye » de Billie Eilish jalonnent un autre plaisir de la redécouverte et pourtant on avait déjà placé la barre à des sommets de bonheur sur un système superlatif tant nous vénérons cette production ensorceleuse, veinée d’intensité, de goût, d’intelligence et de beauté entre infantile et démoniaque.

Le toucher de guitare, effleurement constant et tout en douceur, irradie d’une délicatesse qui à elle seule est un vecteur d’émotion pure. Alors le reste, je vous laisse imaginer.

La voix, plus précisément les voix, injectent une sensualité significativement plus troublante encore que sur notre système repère de très haut vol, invaincu jusqu’à ce jour, à égalité avec notre chouchou du moment : le Kondo Overture II ; les doublements sublimement délinéés s’installent dans un espace plus distinct et la présence mieux exposée du frérot en devient plus poignante. Les inflexions de la gamine, ses respirations, sa manière de monter en sinuosités, spirales voluptueuses d’une ductilité patricienne, démontrent une incroyable puissance : le réalisme charnel, singulier, intime transporte au-delà du texte pourtant galvanisant.

Bon d'accord les nappes de modulations graves sont moins physiques et nettes qu'avec notre référence mais, pour autant, les deux extraits choisis dans l’album superlatif de la géniale demoiselle sortent plus nobles, plus harmonieux, plus désarmants, plus perturbants, et franchement plastiquement plus justes...

Un seul compétiteur à ce jour, après des années d’attente ? C’est dire si le Arne est un objet rare.

Le svelte phrasé, supérieur et limpide, l’enchainement subtil d’une quantité inimaginable de phénomènes sonores parlent au cœur en permanence, sans la moindre complaisance, cependant, tant la nervosité est arc-boutée comme il le faut et quand il le faut.

DIAMs 5 OR

 

 

QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE

Pas bien difficile de deviner à la lecture de ce qui précède que c’est un point sans lequel notre enthousiasme aurait été sérieusement dégradé.

Que ce soit la prosodie attendrissante de Billie Eilish, la vigueur rageuse de PJ Harvey, la verve dansante des Pizzicati de Heath dans Bartók ou la plongée comburante dans l’enfer de NIN, le swing est partout, enluminé, révélant une force artistique qui dépasse largement la simple qualité technique des uns et des autres.

Marc Ducret et son équipe de Tower, vol 1 font une démonstration de ce qu’est un tangage magnétique, les musiciens d’élite pirouettent les uns autour des autres, voltigent, valsent dans une démonstration permanente de décontraction au service d’une musique abstruse, solide comme une citadelle, dont la structure devient ici patente, captivante, presque facile à saisir.

Outre que les cuivres luisent et râpent, que la batterie de Peter Bruun s’envole dans la grâce d’un Paul Motian, que la guitare du démon Ducret virevolte plus que d’habitude entre les divagations des amis, venant de plus loin, toujours présente en fond, ce qui probablement n’a jamais été aussi décelable qu’en ce jour sur le Arne, la musique archi-élaborée balance comme jamais, devenant si explicite, si scénique ; ce qu’elle ne devrait jamais cesser d’être.

The Package (A Perfect Circle) joué sur ADA fait surgir d’étourdissantes volutes de groove méthodiquement exhalées, martelées, propulsées par des musiciens très très balaises… Au passage, la frappe de la caisse claire et du kit complet de Josh Freese n’a jamais attesté tant de mordant, de précision et surtout d’idées, balayant la sensation qu’on peut avoir parfois d’un batteur un peu bourrin !

Est-ce utile d’évoquer le balancement proche de la transe dans Duas Vozes ?


A ce stade, non,
on l’aura compris,
Arne cultive un florilège du swing…
On aurait dû écouter du Sinatra

DIAMs 6 OR

 

 ARNE Engström 4

 

 

EXPRESSIVITÉ

On s’en doutera vu ce qui est raconté plus haut : la ferveur expressive est au sommet.

Mieux : il y a un petit plus indéfinissable qui s’appelle la magie ; même si je déteste l’impression de me faire mystifier, oubliant l’intransigeance du critique, il n’en est pas moins clair que cet appareil a provoqué en moi une envie irrépressible d’en avoir un.

Redoutable PJ Harvey stimulée comme jamais, Billie Eilish injectée sous l’épiderme, la joie de bondir au sommet du vivant sur un quatuor de Bartók, la grâce en apesanteur de Gismonti et Vasconcelos, ou la distance ironique dans la complexité de l’édifice de Ducret & Co

Arne sublime l’expression des artistes, et pas par artifice : un rapide passage par un titre de rap français (Oxmo Puccino) demandé par un ami pour rire renvoie immédiatement à la médiocrité précisément (jugement un peu sévère, mais compte tenu du niveau de ce qui a précédé…), gros son pauvrement construit et rimes de mirliton sont crument soulignés par le même objet qui évoque la grâce, l’inventivité, la douleur, le talent, quand ils sont gravés à la source…

Une brève anecdote où l’on enchaîne la Folia de Penderecki par Anne-Sophie Mutter et les superbes sonates d’Anton Abril par Hillary Hahn met en évidence la capacité du Arne à exprimer la spécificité de deux artistes où la première, qui assène sa maîtrise absolue sans l’ombre d’un doute, où la technique est outrepassée depuis longtemps, raconte l’œuvre, le violon, la création dans une expressivité culminante, et l’autre, pourtant incommensurable artiste, s’expose davantage dans un jeu d’une beauté sidérante mais moins complètement affirmé (je parle pourtant d’Hillary Hahn !) où de fait la femme partage la vedette avec la création quand avec « La Mutter » l’œuvre est un bloc de perfection sans la moindre fissure.

 

La petite réserve émise sur la gestion du soutien dans l’extrême grave ne remet en rien en question la superlative capacité à révéler l’humanité, la volubilité et le serment des musiciens, dans un naturel d’anthologie et une sensibilité de tous les instants, des plus doux aux plus cinglés…

 

DIAMs 61 OR


Oui, à mon avis, il faudrait une étoile de plus…

 

PLAISIR SUBJECTIF

Hors sujet : on est mélomane ou pas. Pas de tricherie flatteuse ou de petits arrangements avec la musique.

Le hifiste inquiet regrettera peut-être le manque d’universalité sur des enceintes réputées et gourmandes ou un léger déficit dans l’extrême bas du spectre surtout face aux habitudes déformantes de la hifi éprise de cholestérol, le mauvais, le gras…

Et puis, heureusement en un sens : le Arne laisse ainsi un peu de place à ses grands frères, Lars ou Eric

 

Mélomanes :

DIAMs 6 OR

 

 

 

 

Autres :

DIAMs 5 OR

 

 

 

PERCEPTION D’ENSEMBLE

Raffinement.
Des formes, des matériaux.
Mais avant tout de la musique.
Méticulosité.
Impatience et énergie frissonnante…

 

Je ne reviens pas moi-même de tant de beauté au point que je me suis posé la question de me faire piéger par un éclairage possiblement un peu faussé, des timbres qui pourraient donner l'impression d'être entourés d'une petite nimbe un peu répétitive, pour être parfois complètement saisi par la sensation exactement contraire d'une acuité par la matière et la texture, crue, unique, bouleversante d’authenticité !

Afin de ne pas tomber sur la combinaison idéale qui aurait dévoyé notre perception de ce génial appareil, les essais ont été menés sur  diverses enceintes comme précisé en introduction, Davis Nikita, Mulidine Harmonie V3, Living Voice IBX/R3, ppfff Ada & Ava : toujours le même constat d’un quasi état de grâce et quelques négligeables divergences de comportement dans le bas du spectre.

Arne est décidément un objet rare, fait de contradictions, pas destiné à tout le monde, moins universel peut-être que notre référence absolue en intégré à tubes, mais qui justifie grandement son tarif comme le prix de ce dont il faut le choyer pour extraire le meilleur de ses capacités prolixes qui touchent au divin.

On pourra nous opposer que pour un appareil de cette gamme, c’est la moindre des choses. Soit, mais dites-le donc aux fabricants qui osent des tarifs prohibitifs sans parvenir à un embryon de félicité sonore…

 

Synthèse :

DIAMs 5 OR

 

 

 

Il faut bien qu’on se réserve une étoile, on ne sait jamais…

 

RAPPORT QUALITÉ/PRIX

Est-ce que ça a encore du sens à ce stade ? Oui sans doute…

Pour nous, le prix est entièrement justifié par les prestations musicales, la présentation de l’appareil qui le destine à des esthètes fortunés sans pour autant être la seule raison de se lancer. Mais aussi parce que des années d’écoute d’appareil à pas de prix incluant des combinaisons préampli + ampli séparés avec les câbles supplémentaires afférents nous ont rarement procuré une telle excitation, un tel plaisir à faire notre métier.

Mieux : à côté du Kondo Overture II, dont l’expression artistique passe par une humilité absolue où son comparse suédois mitonne une beauté d’illusionniste féerique, le Arne incarne la justification de notre engagement.

DIAMs 5 OR

 

 

 

ARNE Engström 1

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