Symphonie n°9 de Gustav Mahler
Mahler Academy Orchestra - Philipp von Steinaecker – Alpha 2024
Minnesota Orchestra – Osmo Vänskä – Bis 2023
Symphonieorchester des Bayerischen Rundkunk – Sir Simon Rattle – BR 2022
Par LeBeauSon - Juillet 2024
Intrigué par la précision inscrite sur la jaquette : Symphony NO.9 « on period instruments », je me suis plongé dans l’exhaustive docte démonstration en PDF accompagnant le fichier HR paru le 21 juin 2024 via Qobuz (et d’autres plateformes, bien sûr).
Commentaires ô combien précis et carrés pour décrire l’obstination du Mahler Academy Orchestra à dégoter des instruments de l’époque où DJ Mahler aurait pu diriger son œuvre, afin de pouvoir suivre au plus près ses instructions ; par exemple la résolution de faire jouer certains instruments à leur limite, repoussée par une facture plus moderne des mêmes outils :
« lorsque je veux produire une note douce et retenue, je ne la fais pas jouer par un instrument qui émet cette note facilement, mais je la confie à celui qui n’arrive à l’émettre qu’au prix de quelque effort et seulement s’il y est forcé, et même, bien souvent, qu’à grand peine et en repoussant ses limites naturelles. C’est ainsi que j’oblige souvent les basses et les bassons à « couiner » dans les notes les plus hautes, et les flûtes à souffler dans les profondeurs du registre » G M
C’est clair… je considère cependant, au souvenir de diverses interprétations qui me sont chères, que les pupitres - dotés d’instruments actuels - bien dirigés, savent parfaitement obtenir engagement, sensation d’effort, ou tension induits par ce pan de la volonté mahlérienne…
Rejet du vibrato pour les vents et à minima pour les cordes (ah bon ?).
Pourtant, des chefs historiquement (Mitropoulos ?), voire personnellement (Walter, bonhomme peu amène (à en croire Alex Ross et autres témoignages) mais chef incontestable) proches de Mahler, ne s’en privent pas me semble-t-il…
Bon, je ne suis pas un expert, soit…
Philipp von Steinaecker expose un travail musicologique indéniablement savant quand bien même, pour m’être épuisé à lire les trois lourds pavés consacrés au génial Bohémien par Henri-Louis de La Grange, relatant la vie de son idole à la minute près, quelques assertions me dérangent.
J’ai le souvenir que selon lui (H-L d L G), Gustav Mahler forçait les indications sur les partitions parce qu’il estimait qu’il fallait aux orchestres de son temps des exigences outrées pour obtenir ce qu’il en attendait, alors que ces mêmes indications, compte tenu du niveau technique nettement supérieur des musiciens d’orchestres contemporains, amenaient - si l’on n’y prenait garde - à des excès certes spectaculaires mais hors cadres.
Oublions… Lors de la passionnante lecture de la notice, on se dit : « chic chic, une approche nouvelle ! » ; caractérisée par le paradoxe qu’en l’occurrence « nouveau » est supposé nous rapprocher du passé.
Bon, c’est bien gentil tout ça, mais le résultat ?
Et là… déception : quel ennui.
La lecture de von Steinaecker semble considérer que les instruments d’époque devraient suffire à porter une œuvre - sillonnée de sens ou métaphores chahutés - sans besoin d’idée de direction, au point que parfois on doute même de la rigueur de placement tout simplement parce que la livrée est dépourvue d’homogénéité d’élan. Voire d’élan tout court. Il ne suffit pas de lever les bras très haut pour transmettre la ferveur.
L’intention semble se limiter à lire les notes dans l’ordre (hmmm) sans souci du lien, de la fluidité.
Au passage, je suis en train de décrire l’exact contraire d’une revendication émotionnelle. Soit… mais quand bien même un chef estimerait que l’émotion de l’auditeur n’est pas son problème, Mahler demande un minimum d’engagement passionnel, non ? Le bonhomme, certes tyrannique, n’était quand même pas un modèle de zénitude, n’est-ce pas ? Mahler et Freud ? Martyr vs Hannibal …
… L’idiomatique de von Steinaecker me fait penser à quelques cinéastes adulées captivants quand ils parlent cinéma, nettement moins quand ils en font… J’évite de les citer, je tiens à ma peau ; car Télérama et Libération en sont des adulateurs et donc mes contradicteurs politiquement puissants, ardents défenseurs de ces bavards surfaits…
Passons : j’ajoute au bilan que la sauce sonore de la proposition de von Steinaecker n’est pas savoureuse. L’absence de vibrato sur les cordes fait-elle trop apparaître les tirés d’archet s’apparentant au portamento comme un trucage malencontreux ? La platitude expressive est-elle renforcée par des tonalités proches du steak tartare ? …
Sommes-nous tout simplement victimes de nos mauvaises habitudes ?
Ou bien à compulser une évangélisation affirmant nous ressourcer aux divines origines, nous découvrons finalement que l’évolution darwinienne n’est pas que négative ?
Promettre n’est pas donner.
J’ai plutôt l’impression qu’on retombe dans le débat (et sous le joug) des baroqueux du début pour qui la quête théorique devint dogme ayatollesque.
Osez me dire que Mahler ne prendrait pas un plaisir immense à diriger le Philharmonique de Berlin pour interpréter ses symphonies !
Je me suis replongé dans une écoute de la version que, pour le compte j’avais trouvée rafraichissante, sans vraiment pouvoir l’expliquer, d’Osmo Vänskä (Minnesota Orchestra, Bis en 2023)
Ou plutôt si, je sais pourquoi : elle m’avait semblé (et c’est toujours le cas) allégée, incluant des passages quasi-chambristes, avec des conséquences plus ou moins opportunes, quête de précision millimétrée, de rigueur prohibant parfois la profondeur des sentiments (je ne parle pas de pathos) ou de l’humour féroce ; une approche à la Boulez.
Qu'importe : à l’arrivée, c’est mille fois plus exaltant, les rythmes, les couleurs, les reliefs, les extractions instrumentales ou texturales…
Certes aidé par une captation rigoureuse mais ample et respirante, délicate et harmoniquement florissante, le travail patient de Vänskä amène un orchestre qui n’était quand même pas un référent mondial, à flirter les grandes phalanges européennes spécialistes du grand Gustav…
Pour clore le sujet, j’ai hésité : Karajan (version(s) littéralement bouleversante(s)), Bernstein (exaltée et étourdissante) (laquelle d’ailleurs ?), Tennstedt (brutale), Klemperer (marmoréenne), Abbado (intelligente et fascinante), Inbal (innovatrice)... J’en oublie évidemment, notamment Zinman, Harding, Ancerl (déroutante mais impérissable), Neuman (datée)… … la liste des lectures engagées est longue), ou la nettement plus récente et probablement idéale (pas au sens d’un sommet de podium, évidemment) de Rattle à la tête du Symphonieorchester des Bayerischen Rundkunk (2022).
Idéale en cela qu’elle paraît d’une incroyable spontanéité, geste naturel débarrassé de tout calcul de mise en scène, quitte à s’interdire quelques immersions abyssales qu’on peut adorer par ailleurs… On passe en un clin d’oreille du flux puissant d’un fleuve souverain à celui, erratique, d’une rivière à tresses, d’une énergie dansante (le Rondo Burlesque est grinçant à souhait) à une profondeur métaphysique au sein d’un climat plénier cohérent, où l’homme se cherche certes dans des réflexions contrastées, de mélancoliques à agacées, mais il s’agit bien du même homme et jamais un homme « hors de lui ». Les cordes absolument somptueuses de l’orchestre munichois malaxent une pâte idéale dans les longs pleurs du final… Qui approchent le gouffre infini de Bernstein ou Karajan (version studio).
Rattle a-t-il jamais été aussi bon que depuis qu’il a quitté Berlin ?