Tagaq - Tongues North Stars
Six Shooter Records 2022
Par LeBeauSon juin 2024 dans un BE de l'ensemble Kondo G70 + Melius
Tanya Tagaq Gillis est une autorité (au sens le plus noble) totalement à part.
Canadienne mais avant tout Inuite, chanteuse de gorge, photographe, peintre etc., elle se distingue par la sauvagerie de ses récriminations politiques irréfragables, matrice exaltée qu’elle estampe plus incandescente qu’un fer chauffé à blanc suppliciant nos affections, transperçant la chair pour atteindre le cœur de notre conscience heurtée de dénis.
Björk, Mike Patton (chercheur chthonien décidément partout où son credo a du sens, s’affirmant tel une rose des vents !), ou Saul Williams ne sont pas les moindres personnalités qui ont compris la charge expressive de cette femme, qu’elle grogne ou halète contre la colonisation sous toutes ses formes, capable de plus de vigueur ou robustesse que le Death Growl métalleux qui, ne l’oublions pas, s’inspire de la même technique.
Ce qu’elle psalmodie, hulule, rugit ou mugit ne passe pas systématiquement par les mots ou une mise en avant de sa technique vocale issue du plus profond de sa culture, mais par ses pures émotions. Oh, pas celles qu’elle chercherait à transmettre* : celles qu’elle subit intimement, plus férocement que sous la morsure d’un lion, qu’elle endure dans ses tripes et nous crache à la gueule ; peu lui chaut alors ce que nous ressentons sous les lèchement des brûlots, qu’ils nous rongent la peau tel l’acide de l’authenticité viscérale ou s'abreuvent au sein universel de la charte humaniste.
* erreur fondamentale de trop nombreuses chanteuses à voix qui ne font trépider les chairs adolescentes (ou pire : adultes) que par paresse générationnelle
Jusqu’à Tongues en 2022, le grandiose Animism (2014) et Auk/Blood (2015) étaient ses deux plus fondamentaux opus ; Tongues, fruit de la collaboration avec Saul Williams, lui-même poète, rappeur, auteur, acteur fondamental d’une culture parallèle comme le furent Lou Reed ou Basquiat, consolide résolument les locutions magmatiques de la Canadienne.
J’ai choisi l’extrait In Me, et plus précisément la version revue par Paola Prestini dans l’album Tongues Northstar Remix avec le New Century Chamber Orchestra.
Eh oui, les grands rencontrent les grands !
Mange ta morale / Mange tes pensées / Tes tendons / Ta moelle / Décolle ta peau / Tes indignités… / … Tu es moi maintenant / Je suis toi / De la viande
Texte joyeux s’il en est, n’est-ce pas ?
Paola Prestini, diplômée de la Juilliard School, dont les pièces sont jouées par le CSO, le NYPO ou le Kronos Quartet, revisite subtilement un titre de l’Inuite en insérant, dans les furies d’une femme face à qui la poliade Athéna s’inclinerait, un ensemble à cordes qui réussit à rendre le titre définitivement horrifiant, d’une sidérante rage grimaçante, éprouvante, jetant dans la mêlée de la hargne revendicatrice de Tagaq un entortillement de cordes essentiellement stridentes aux harmoniques lancées comme autant de scies, miaulements plaintifs ou crispés, intrications de hurlements guerriers de Banshees, calmes vagues ou pire fouillis qu’un débat à l’Assemblée Nationale un jour de grève, surmontant les strates infrasonores de creusets mélodiques situés sous la calotte glaciaire pour atteindre le cœur de la terre, mettant à mal la prétention maladroite ou dévoyée de la hifi du monde entier.
Mais pas les systèmes audio, rares, qui, avec un respect méticuleux, déroulent les modulations les plus anarchiques d’une musique puisant sa sève dans les ondes telluriques et heurts abyssaux remontant le long d’une épine dorsale mouvant jusqu’aux plus extrêmes frémissements de l’aigu, dépassant le spectre audible pour ne plus être que ressenti dans une mise en abyme ne requérant d’autre quittance qu’elle-même…
Mesurons alors combien il est vital de percevoir les subtilités qui garnissent l’assaut psychologique brutal de l’Inuite, insurmontable pour beaucoup, de tous ses imperceptibles filigranes de réceptivité et d’inspiration métamorphosant un obscur boutoir anarchique en gemmes de finesse, qu’elle soit de douleur ou d’enchantement, sans jamais se mêler de la cascade créative, tiers impavides d’un spectacle sans limites autres que notre propre capacité à en cerner les anfractuosités.
Des albums qui secouent, notre âme, notre coeur pour autant qu'on en ait un, nos sens...