SÉLECTION DE DISQUES





Andy Emler – Running Backwards

Avec Marc Ducret, Claude Tchamitchian et Eric Echampard

Paru chez la Buissonne en mai 2017  - Genre : Jazz


Autant vous prévenir : il faut parfois s’accrocher et il y a peu de répit dans ce tourbillon proposé par quatre pointures superlatives. Mais si vous décidez de vous laisser porter, nul doute que vous ressortirez de l’expérience aussi souriant que ces gentilshommes qui vous auront nourri, enrichi, embarqué dans leur folie contagieuse.

Alors que le sujet est grave puisqu’il repose sur la vision d’un monde en régression.

C’est la guitare solide de Marc Ducret qui engage le discours, ses doigts vigoureux impriment des sautes d’accords qui n’appartiennent qu’à lui.

Puis la petite bande arrive et c’est un déferlement d’idées et de talent réparti sur 7 plages aux titres parfois plus drôles ou ambigus que la gravité du sujet (« Lève-toi et Marc », « Watch your back, Darwin… I mean »).

Les compositions démoniaques d’Emler, souvent dédaléennes et facétieuses, portent la complicité réjouie de ses camarades, indispensable pour éviter les chausse-trappes ou écueils de l’écriture, enluminer quelques (rares ?) passages d’improvisation.

Vous l’aurez compris, trames et mélodies ne sont pas de tout repos, elles semblent venues d’ailleurs et de partout, car pourraient convenir à tout genre musical, classique ou rock progressif, contemporain, reposant parfois sur des combinaisons guitare piano d’une texture superbe, enchanteresse, puzzle éclaté laissant à chacun des plages d’expression jamais inutilement virtuoses, l’invention, la poésie cubiste bigarrée ou le voyage étiré dans les méandres de la réflexion, du doute ou des paradoxes guident les musiciens dans des élocutions sautillant de contradictoire à lyrique, pour autant que les deux s’opposent. Mais si le propos est grave, on partage plutôt le bonheur de ces gens à jouer, à vivre, à provoquer.

Pas de méprise toutefois : les élucubrations d’Emler sont ardues sans gratuité, inventives et drôles ou incisives, jouant de la vaste palette de couleurs et rythmes que ses complices savent déployer dans une énergie partagée, renouvelée, qui n’empêche pas une certaine légèreté, celle de l’amitié sans doute : Ducret a toujours le geste aussi sûr, les doigts de baladent, martèlent ou chantent, il est unique aussi bien par la texture du son que par les écarts d’accords ; les harmonies d‘Emler sont contrastées (bien rapportées par une prise de son soignée) et sinueuses, les lignes dessinées par Tchamitchian sont ébouriffantes, détorses ou frappées, d’une folle inventivité. Quant à Echampard, on le savait déjà, c’est un orfèvre, il excelle aussi bien à ornementer les figures lyriques ou escarpées de ses comparses qu’à perpétrer la charpente de passages en carrure.

Du bonheur brut à l’arrivée d’une thématique noire, du sourire, des idées, des figures entrecroisées, des accords improbables mais indéniablement magnifiques, des sonorités impensables : du grand jazz moderne.
Que dis-je ? De la grande musique

Qui plus est magnifiquement servie par une production soignée, proposée fortuitement en 24/88

 

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