SÉLECTION DE DISQUES





Raoul Vignal - The Silver Veil

Paru chez Talitres - avril 2017 - Genre : Folk, Rock Indé ?


The Silver Veil est de ces albums mal écoutés, pas suffisamment, un peu vite, mais heureusement remis à plus tard…     
… De ces disques que l’on ne comprend pas immédiatement, mais qui s’attardent dans une antichambre de la mémoire et qui, une nuit, dans un instant de solitude ou de « vagalame », s’illuminent tels des joyaux, comme pour s’offrir en bande originale à une tranche de notre vie.

Pourtant, tout dans cette œuvre semble trop simple, trop discret pour parvenir à un succès unanime. Certains ne verront que pauvreté là où j’entends sobriété. Cachés sous une apparente simplicité, la voix et le picking de Raoul Vignal délivrent des compositions aussi fragiles que sophistiquées.

Les premières notes surprennent. D’abord frappe ce filet de voix qui déclame timidement. Pas d’éclat, pas de grandes « époumonades » : le garçon n’a pas The Voice. Les notes d’un chant quasi-asthmatique se cachent dans l’expiration de la diction. Son timbre de voix rappelle un peu ce groupe très inspiré par Simon & Garfunkel, je veux parler d’un des deux Norvégiens de « Kings of Convenience », … Eirik ou Erlend ? Je ne sais jamais qui est qui, et qu’ importe, … je m’égare.


Le jeu hypnotique de guitare folk, sans effet, repose sur un picking impeccable.
Sur « Under the Same Sky », la mélodie et le rythme qu’imposent les mains de Raoul suspendent le temps.
Il y a quelques chose de Rock Indé dans cette alchimie pourtant très folk en apparence. Je ne peux étrangement m’empêcher de repenser à Radiohead, ou parfois à Syd Matters.

Sur Dona Lura, la prise de son des cordes donne des éclats et une résonance spatiale qui emplissent magnifiquement la pièce. Puis un trait de flute plus détouré éclaire sur les dimensions réelles de la scène sonore. 

Whispers démarre par une mélodie envoutante. Raoul Vignal fait ici penser à Fink, pourtant sans chercher à s’y identifier. On lui prête beaucoup d’allusions, mais ce qui ressurgit s’éveille sans jamais vouloir ressembler, au contraire, c’est très personnel, voir anachronique ?! Qu’importe : le rythme ici, l’atmosphère là, c’est ce que produisent ces œuvres originales.

Ce soir la poésie de Raoul Vignal me parle.

Les arrangements particulièrement sentis se limitent au strict dépouillement d’une batterie, d’un filet de flute, posées çà et là, ne venant jamais dépasser l’auteur. À la douce frénésie des doigts réplique la sobriété du chant, saupoudré par la batterie plus que portée : c’est ensorcelant.

Plus on s’enfonce dans cet univers, plus on se sent enveloppé par les mains du jeune homme, sidéré par la maturité, la justesse minimale d’arrangements discrets mais toujours créatifs. 

Puis, arrive l’avant-dernier morceau. Nom de l’album, c’est aussi un titre instrumental, le seul sans la voix de Raoul. Aux mains de l’artiste répond encore autrement ce jeu de batterie atmosphérique.

Shadows, achève ce joli morceau d’art.
L’homme chante plus fort, sorti de son murmure. Tiens, le picking a disparu, au profit d’un jeu plus coulé. Le batteur jouant une simplicité émouvante, caresses de cymbales et caisse claire … chouette moment.

Cet album, en véritable ovni musical, personnifie un certain sens magique de l’équilibre, à la fois nu et sophistiqué…  ne manquant certes pas de créativité. Une telle osmose, entre les musiciens laisse deviner qu’ils ont eu plaisir à bâtir ensemble ces univers … Comment ? Ils fumaient la même ? Oui, sans doute aussi.


Ensuite, les dernières notes laissent planer un lourd silence avant qu’on ne réalise l’apparition de l’irrépressible envie de rejouer ce joli disque funambule.
The Silver Veil s’apprécie magiquement dans la pénombre, ou face à un horizon dégagé.

 

 

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