guide





Lire la version résumée

RICHESSE DES TIMBRES ET ÉQUILIBRE TONAL

Les timbres sont les « couleurs » des instruments ou des sons ; ce qui différentie, en partie du moins, Frank Sinatra de Dean Martin ; ou encore la voix de La Callas de celle de la regrettée Heather Harper*.

Le timbre est lié aux intensités relatives des harmoniques différentes qui le composent.

La palette du peintre en quelque sorte.

On se rendra compte, en se concentrant sur le rendu des coloris ou carnations, que quantité d’appareils affadissent les gammes de couleurs, un peu comme si on se contentait du mot « roux » pour décrire les nuances qui vont de « blond vénitien » à « auburn ». D’autres au contraire les surexposent, à la façon des premiers films en Technicolor.

On parle alors de colorations. En oubliant souvent que n’est pas moins « coloré » - au sens de faux - un objet de reproduction qui simplifie les harmoniques ou ne respecte pas l’équilibre tonal…

Le timbre est-il le seul moyen d’identifier un instrument ou un son ?

Non, bien sûr : le pincement, la frappe, l’enveloppe, la hauteur tonale, l’air qui circule dans l’instrument via une hanche ou pas, et bien d’autres particularités, escortent le timbre pour discerner l’origine du son, faciliter l’identification.

Mieux encore : parmi les compagnons les plus fidèles du timbre on sera attentifs au grain et la matière ; pas faciles à trouver en reproduction musicale toutefois.

- Le grain** des instruments, d’une voix, de l’archet frottant la corde, le grain du bois. Grain au sens de texture donc.

- La matière sculptée distinguant un saxo, une trompette, un trombone. Elle ne grave pas la même empreinte dans l’espace sonore, compose une morphologie précise autour d’un squelette spécifique.

                               

On constatera avec surprise ou amusement que quelques appareils définissent mieux l’identité de l’instrument par la sensation de texture ou « ossature » que par la couleur. Lorsque l’identification passe par les deux, on a affaire à un bel objet de reproduction ; quand vient s’ajouter le grain, alors là, on frôle l’ivresse des altitudes…

Il arrive aussi que la palette chromatique soit bien plus « belle » que nature ; ou plus typée, comme à travers un filtre ou un écran trop saturé. Cette caractéristique de couleurs « trop belles pour être vraies » se détecte sur une bonne majorité d’amplis à tubes par exemple (mais pas seulement) diversement appréciés : une qualité indispensable au plaisir de certains, un défaut rédhibitoire au plaisir des autres.

 

Par ailleurs, comment évoquer les timbres sans se référer aussi :

- à l’équilibre tonal !

 

S’il n’est pas linéaire mais boursouflé, tronqué ou inconstant selon les phases dynamiques, les timbres sont inévitablement trahis. Ainsi, parfois que la perception rythmique dès lors que le déroulement des évènements en perd sa cohérence.

Souvent la perception de l’équilibre tonal est dénaturée par des effets de masque. Un grave redondant est possiblement dû à un creux dans le médium et ainsi de suite.

Enfin, toujours à propos de l’équilibre tonal, veillons à ne pas confondre « Matière » et « Corps » : des appareils flatteurs dans une certaine zone (on dit médium ou bas-médium dans notre jargon) donnent du corps par excès de chaleur, mais ne cisèlent pas pour autant la matière.

Il est prudent, en revanche, de ne pas tomber dans l’excès inverse : le timbre « vrai » n’existe pas, ou alors à un instant donné rarement reproductible au naturel. Un même violon jouée par divers musiciens ou le même mais à divers moments de la journée ne « sonnera » (quel vilain mot) pas à l’identique.

                                                    

Et puis, quel rapport entre le « son » de Michel Portal et celui de Dewey Redman ou de Jan Garbarek ou Emile Parisien ?

Ils jouent « du saxo »

Résumons : si une couleur marquée est agaçante, la prétendue neutralité qui ramène tout à une gamme de teintes édulcorées l’est tout autant.

 

Approcher de la justesse des timbres,
c’est limiter les mensonges
par excès comme par omission

 

 

SCÈNE SONORE

Le terme est clair : ce critère raconte la capacité d’un appareil à aposter les instruments ou groupes d’instruments ou chanteur(s) ou évènements sonores sur un « plateau » dans ses diverses dimensions, largeur, profondeur, hauteur et même : temps…

Voici pour la théorie.

En pratique, l’attente doit être nuancée puisqu’elle dépend de facteurs très nombreux, à commencer par la position des enceintes.

En appliquant certaines règles de base, on se rend vite compte de l’aptitude de certains appareils de reproduction à transposer une dimension vraisemblable des instruments entre eux, établir une stabilité dans l’espace et la cadence, laisser ressentir l’air autour de chacun des intervenants sans les isoler dans une bulle, procurer un étagement de plans définis en profondeur.

 

Les meilleurs vont plus loin : ils sculptent l’espace ! Ils bâtissent la pièce ou l’atmosphère de la création originelle dans votre pièce.

Un système qui permet à l’esprit de se balader, par exemple à l’écoute d’une symphonie, à la recherche de quelque pupitre que ce soit, ou instrument dans chaque pupitre, au gré de l’envie, est probablement la meilleure démonstration d’une scène sonore harmonieuse, en lien inséparable avec les timbres évidemment… Et si en plus l’esprit se sent intégré dans le lieu de l’évènement, l’équation est parfaitement résolue.

Petite précision au passage : on entend souvent les notions de réalisme et de réalité, de niveau réel… Attention quand même aux miroirs aux alouettes. Combien de pièces pourraient accueillir un piano à queue et le laisser jouer ouvert sur la Sonate en si mineur de Liszt ? Alors le Philharmonique de Berlin !!!! Mais à contrario, une guitare de 3 m de large, ça n’existe pas.

Dimensions, énergie, dynamiques, la meilleure haute-fidélité a pour rôle de transposer et réduire plausiblement les dimensions du «vrai ».

Plausibilité, vraisemblance sont des quêtes moins absurdes que « réalité » qui ne dépasseront pas une flûte et un luth.

 

RÉALISME DES DÉTAILS

Un ami utilise une belle image, je la lui chipe : la haute-fidélité nous place face à un beau paysage derrière une baie vitrée, plus ou moins large. Meilleur est le système de reproduction plus la vitre est propre. J’ajoute moi que, à l’extrême, les appareils les plus pertinents nous proposent d’ouvrir la baie et mettre un pied sur la terrasse.

On pourrait parler de résolvance, terme directement issu du vocabulaire de l’image…

Eh bien exactement comme en optique, attention à ne pas se laisser piéger par l’impression de détails qui ne serait que le résultat d’une extraction ou simplification de l’environnement global, un piqué sélectif.

Ainsi, en optique, certains objectifs affichent un excellent pouvoir de résolution au banc de mesure, mais : dès qu’on observera l’image attentivement, on constatera que, si tout ce qui est en pleine lumière donne la confirmation d’une bonne définition, les ombres sont plombées, les nuances schématisées…

Là où d’autres optiques - de pouvoir séparateur comparable au banc (voire moindre) - délinéeront des ombres profondes et modelées, un excellent sens du sfumato, des dégradés de piqué, couleurs et grains selon la profondeur de champ etc…

Ben voilà, c’est la même chose en reproduction musicale.

On sera donc attentif à la précision des attaques. Qui spécifieront le piqué, en quelque sorte. On constatera alors que bon nombre d’appareils délivrent des fronts de notes arrondies, sorte d’aphérèses qui font rouler le piano par exemple : l’aspect percussif en est gommé. On ne s’en rendra pas forcément compte si on se laisse séduire par l’énergie globale, cas fréquent de confusion.

Le piano est alors un gros wiano, la trompette une vrompedde etc… Sans parler des miolons.

On constatera au contraire parfois des attaques franches, incisives, non suivies par une tenue et déclinaison homogène de la note. A ne pas confondre avec le manque de lien.

Et donc ou obtiendra un tiano apocopé, des crompettes, et des sciolons.

 

On constatera encore, çà et là, une analyse détaillée, certes, mais soit clinique ou monitoring (le détail du fond est remonté au même niveau dynamique ou spatial que l’information principale),

Ce « mensonge » par omission se traduit par une absence d’humanité, où le sens du détail néglige la perception de l’ensemble : peut-on comprendre l’architecture d’un édifice en ayant le nez collé sur un joint entre deux briques ?

Dans cette vision « holistique » que nous défendons, l’absence de lien est tout aussi pénalisante : n’oublions pas que la musique convoie un flot continu, pas une succession d’évènements disjoints.

 

 

QUALITÉ DU SWING, DE LA VITALITÉ, DE LA DYNAMIQUE

Le swing, que ce soit clair, n’est pas que cet envoutement liée à la rythmique jazz et qui fait claquer les doigts sur l’appui majeur. Ce réflexe-là on peut même l’avoir sur le battement d’un métronome.

Le swing, c’est tout ce qui fourbit l’étourdissement, la vie, l’ivresse, la manière d’évoluer autour de la note, les sinuosités de la voix sur des bordures de croches tout en balancement, le glissement langoureux ou vif de tempo d’un batteur, les errements de l’ostinato, que sais-je encore ?… un tropisme de transe ou une montée d’euphorie de l’opiomane…

Le swing peut trouver sa place partout. Presque. Je veux dire par là qu’il n’est pas réservé à un genre musical en particulier : l’orchestre classique peut avoir (ou pas, ce n’est pas naturel dans la culture de la musique classique) du swing.

           

Pourtant, ce critère est un grand oublié, pour ne pas dire un grand sacrifié de la haute-fidélité majoritaire ; et, chose curieuse, on s’aperçoit en fréquentant de nombreux audiophiles, que c’est un aspect dont le manque ne semble pas choquer.

Idem pour la (ou les) dynamique(s) qui doit être libre, ouverte, respirante, sans projection, distorsion, ni déformation (effet de resserrement spectral par exemple) ou effet de paliers

La dynamique, qu’elle soit fine, violente, évolutive, subite, doit s’exprimer dans un flux permanent, sans contrainte, exagération, simplification de la perspective ou des dimensions relatives.

 

EXPRESSIVITÉ

Le mieux est sans doute d’essayer la métaphore qui m’est venue lors d’un dîner récent où j’ai dégusté un Risotto d’anthologie qui sur la carte est annoncé « Risotto façon Sushi ». Une variante entre tradition et invention donc.

En savourant ce plat, c’est bien simple, j’ai versé une larme d’émotion, tant c’était exceptionnel !

Or, on parle de riz et de poisson cru ! Rien de plus banal en apparence. Des Risottos nous en avons tous goûtés et ça se ballade entre quelconque et excellent. Ce soir-là, Al Pont de Ferr (Milan), c’était de l’art.

Soyons plus précis :

L’invention et la recette, c’est l’art supérieur du chef. La qualité de la préparation, c’est l’expression. Ma perception, c’est l’émotion.

Que restera-t-il de la même recette préparée moyennement ? Moins d’expressivité. Et, en ce qui me concerne une émotion moindre. Eventuellement entretenue par un souvenir de l’original. Ou au contraire très décontenancée.

Que restera-t-il si je demande au chef de me préparer le plat, me le congeler et que je le réchauffe aux micro-ondes ?

Je l’aurai grandement banalisé. Pas forcément totalement dénaturé (quoi que) mais j’aurai affadi sa splendeur expressive. La recette est la même, l’expressivité est trahie, l’émotion amoindrie.

                                                  

Que me reste-t-il à faire ? Trouver le chef ou le temps qui saura reproduire à l’identique ce grand moment, ou inviter le créateur chez moi en lui fournissant le plus précisément possible les ingrédients ou instruments dont il a besoin.

Pas de subjectivité là-dedans.

Voilà. Ce que nous essayons de transmettre dans cette rubrique « expressivité », c’est ça : veiller que les appareils que nous testons ne soient pas que des fours à micro-ondes de base. Pour éventuellement nous autoriser à retourner au lieu originel de l’émotion.

Et croyez-moi : la recherche de l’expressivité en haute-fidélité, ça limite beaucoup le choix.

Le rôle d’un BON système de reproduction n’est pas de « procurer » de l’émotion - celle-ci vous appartient et une affreuse déformation pourrait vous convenir -, mais bel et bien de transmettre l’histoire racontée par le ou les musiciens, sans simplifier, enjoliver, appauvrir ; sans déguiser comme une reproduction picturale ajouterait une moustache à la Joconde ou donnerait l’impression que Mona Lisa rentre de quinze jours frénétiques au Club Med …

On a évoqué dans les rubriques précédentes ce qui est essentiel à la perception de vie, le swing, la présence, le grain la matière. Mais ce n’est pas encore l’expressivité. L’expressivité est un cran au-dessus.

De très beaux systèmes donnent l’impression de ne rien cacher, on entend tout, on distingue idéalement les instruments, on a du corps, du swing, un beau déploiement dans l’espace, une précision telle qu’on peut relever la partition sans risque d’erreur.

Il ne manque rien. Sauf…

 … les musiciens derrière les instruments

Des êtres humains, des artistes, des êtres de chair et de sang…

A nous de vous indiquer les appareils qui suivent le « nord magnétique »*** et évaluer les contreparties éventuelles d’un sens de l’achèvement indispensable, les placements des curseurs de compromis sur la voie royale : le naturel…

 

PLAISIR SUBJECTIF

Subjectif… Un mot que nous n’aimons pas beaucoup, contrairement à la manie de la profession de se réfugier sous la subjectivité pour justifier le grand n’importe quoi de la reproduction plus sonore que musicale.

« C’est une question de goût », entend-on trop souvent, totem honteux de la lâcheté…

La façon dont vous percevez et aimez la musique, oui, incontestablement, ça vous appartient, c’est votre goût.

La façon dont vous choisirez les appareils qui vont constituer votre chaîne, oui incontestablement.

 

Mais :

la façon dont la chaîne est supposée propager la véracité artistique des musiciens, non absolument pas ! La chaîne ne doit rien faire de plus ou de moins que de vous permettre de revivre en boucle ce pour quoi vous aimez tel ou tel musicien, et pas tout transformer autour d’une certaine justification de tel goût s’opposant à tel autre.

J’ai cité la Joconde précédemment : sous prétexte que vous préférez les blondes, on devrait la teindre ?

Mais on comprend parfaitement que certains d’entre vous, moins mélomanes, moins soucieux de justesse, aient envie d’une autre approche de la reproduction musicale. Par exemple : une représentation sonore plus spectaculaire, plus grande ou plus belle que nature, ne serait-ce que parce que vous écouterez peu et rêvez d’uppercuts hollywoodiens…

Ou encore la recherche d’un maximum d’analyse austère par souci de déchiffrer la partition, sans accorder la moindre importance à l’interprétation ou en tout cas à son envergue humaine. Pourquoi pas ?

Nous respectons évidemment de tels choix du moment qu’ils sont conscients, revendiqués. Si la sincérité des sensations physiques et émotionnelles de la musique est plus du côté du karting, d’une Caterham ou d’une Alpine que d’une Bentley, on peut comprendre sans problème le choix de cette dernière.

Nous nous efforcerons par conséquent de raconter ce qui, à notre sens, pourrait plaire dans un appareil que nous n’aurons pas formellement adoré par ailleurs, mais dont nous comprenons la vocation, le choix qui a présidé à sa création.                           

Et puis surtout, nous sommes conscients qu’un appareil parfait n’existe pas. Heureusement en un sens. Autrement dit, le choix porte sur des compromis, sur ce que chacun d’entre nous est prêt à sacrifier dans son rapport à la musique sans sacrifier son plaisir. Un positionnement de curseurs en quelque sorte. C’est là que la subjectivité entre en jeu pour nous tous.

 

 

PERCEPTION D’ENSEMBLE

Bon ben, pas bien difficile : une sorte de résumé de l’ensemble des critères ci-dessus ajouté à des côtés plus techniques ou esthétiques, présentation, facilité d’emploi, aspects pratiques, qualité de la finition etc…

Et donc une synthèse d’écoute car il ne faut pas se tromper de cibles : nombreux sont les appareils qui, à défaut d’atteindre les sommets dans chaque case, peuvent séduire un public large. Chacun a ses critères, ses petites manies ou préférences, ses habitudes, ses attentes, ses étapes de progression.

Pour autant, afin de vous éviter de vous tromper dans vos choix, notre devoir est d’évoquer autant les manques que les qualités des beaux joujoux qui nous passent entre les oreilles.

Et si vous n’êtes pas d’accord avec notre évaluation, parlons-en…

 


* regrettée parce qu’elle est décédée peu de temps avant que je ne commence à rédiger ce texte dans l’indifférence générale. Oui, j’écris ce texte dans l’indifférence générale.

** à ne pas confondre avec le grain des instruments à vent (diamètre de l’étranglement de l’embouchure)

*** l’image est du patron.

 

Banc ecoute