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Un jour, une écoute initiatique

Par LeBeauSon -  août 2017


Dans ma logique d'expérimenter certaines approches, après un rendez-vous de travail à la maison dans un autre domaine d'activité, j'ai invité ma cliente à écouter un peu de musique.

Je lui avais déjà expliqué mon projet de partager, avec le plus grand nombre, ce plaisir hédoniste complètement oublié. Mais j’avais bien senti que le mot Hi-Fi n'éveillait aucun écho en elle. Elle rentrait clairement dans la catégorie des non-initiés.

Précaution oratoire, je fais le point sur sa manière d’écouter la musique. Elle me répond : "de moins en moins, en fond sonore. Nous ne sommes pas passionnés, nous nous en passons même souvent. » Elle reconnait que la fréquence de ses écoutes a largement baissé depuis 20 ans.
Cette dame a 40 ans, à peu près (ces choses se devinent seulement), je lui fais alors remarquer que la place pour la musique dans sa vie a diminué année après année, peut-être même progressivement, relayée par une consommation dépersonnalisée via la télévision.

J'émets aussi l'hypothèse qu'une baisse de qualité acceptée, au bénéfice d'autres aspects pratiques, nous habitue à la médiocrité. Mais cette même médiocrité engendre petit à petit moins d'intérêt, moins de plaisir, moins d'envie.

Vient le moment de l'écoute. 

Elle demande un chanteur à texte, je choisis Bertrand Belin, puis Brel (le grand Jacques). 

Quelques secondes après les premières notes je sens le choc. Son visage s’illumine, ses yeux s’ouvrent plus grands … Elle exprime sa stupéfaction : « jamais entendu, jamais ressenti, inimaginable, incroyable. Je ne savais pas que c’était ça, la Haute Fidélité. »

Deuxième titre : Orly, … Et étrangement, je la vois se recroqueviller, troublée par l'interprétation du grand Jacques.
Nous évoquons ensemble sa réaction. « Soudainement, ce fut trop… » me dit-elle. Trop d'émotions, trop d'intimité, un "trop" perçu presque, comme une forme de voyeurisme.

Je lui explique que la consommation verticale de musique nous a donné l'habitude de rester à distance de l’œuvre, pour ne plus percevoir que la mélodie. Les émotions, la sensualité de l’écoute, cette intimité avec les musiciens et l’interprète nous échappent presque systématiquement. 

Elle demande alors un répit, quelque chose de plus léger : Stromaë, Papaoutai. J'acquiesce, sourire en coin, devinant la suite de l'expérience.  Le chant révéle alors toute la désespérance, cet appel au secours déclamé par l’artiste si évident, sur ce beat disco prédominant jusque-là dans son esprit.


Mieux, ou moins bien ? 

Ne préférerons-nous pas que l’on nous dise la vérité ? Sommes-nous incapables de comprendre les nuances ?

Devons-nous nous satisfaire d’une transcription, d’une vulgaire copie de l’œuvre, ou sommes-nous capables d’apprécier la musique dans toute sa richesse et ses détails ?

C’est précisément dans ces détails, sous cet éclairage que nous apparaît l’œuvre, complète et entièrement perceptible, au point que, ce que nous croyons son sens premier, est parfois complètement bouleversé, voir littéralement opposé. 

S'en suit une longue discussion sur le monde de la hifi, l’incroyable absence affirmé (la vérité est plus subtile) des femmes consommatrices (comme si elles n’avaient pas d’oreilles), un rôle de transmission culturelle essentiel, un temps voué aux partages autant qu’au plaisir gourmand … et bien sûr, à sa demande de manière plus terrienne, l'origine et le rôle de chacun des appareils. Car nous avons d’incroyables talents en France, qui demeurent pourtant parfaitement inconnus du grand public.

À ma surprise, le prix n'est pas un élément de blocage dans son esprit. J’explique la durée de vie des appareils anti-consumériste, le désir grandissant des mélomanes, imposant de prendre en considération tout investissement comme une construction évolutive sur le long terme. Qui voudrait se couper les oreilles après les avoir enfin découvertes ? Une fois enrichi par ce nouveau plaisir, il intègre votre quotidien jusqu’à la fin de votre vie. Donc, je lui explique aussi, la nécessité inconditionnelle d'être savamment accompagné, pour la construction de cet ensemble en adoptant une vue à moyen terme, une vision. Mais aussi, pour la transmission de tout un savoir essentiel pour profiter pleinement de son investissement, que l’intervention d'un professionnel demeure incontournable. Dans combien d’appartements, de maisons, j’ai vu d’appareils, d’enceintes qui ne pouvaient révéler que 30% de leur valeur, posés n'importe comment. Avouez que c’est tout de même dommage d’investir un certain montant (quel qu’il soit) pour ne profiter que d’une part minime du talent des appareils.

Oui, l'initiation est cruciale, alors qu’elle n'a pas été suffisamment travaillée, quand elle n'est pas directement dénigrée … 

Oui, les femmes sont un public à privilégier parce que, vierges de jugement péremptoire dont s’enorgueillissent à tort certains hommes, croyant savoir. Oui, la transmission de ce savoir est capitale pour chacun de nous, puisqu’il nous ouvre un champ de connaissance joyeux et savoureux.

Cette dame tirera sûrement par la manche son mari dans les mois qui viennent. Mais ce moment de découverte, chez moi, fut intéressant à plus d'un titre. Elle a pu toucher du doigt (des oreilles) ce que permet une écoute de qualité, un moment de communion avec les artistes, mieux qu’au concert, où tous les sens sont sollicités, où les conditions de l’évènement, le public, la sonorisation de la salle rendent impossible une perception aussi délicate.

Confortablement installé chez soi, bien plus qu’une perception du concert à domicile, c’est nous, auditeurs, qui sommes projetés dans l’univers de l’enregistrement, l’acoustique de la salle et l’atmosphère de cet instant suspendu et privilégié. Tout devient perceptible faisant de ce spectacle un moment à part, exaltant en tous points. Revivent et rejouent, rien que pour nous, Mingus, Presley, Cash, … et tout ce que la musique connaît d’artistes exceptionnels.

À méditer

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